DNCA Investments
Clap de fin à Zurich : Jelmoli, l’équivalent suisse des grands magasins du Boulevard Haussmann ferme ses portes après 120 ans au service du faste de la place financière. A quelques mètres, le principal concurrent, Globus, n’est pas en meilleure forme. Son nébuleux propriétaire, Signa, est en faillite depuis décembre. Soufflé par la hausse des taux, le château de cartes de l’autrichien René Benko aspire ses créanciers dans sa chute. Le conseil d’administration de Julius Baer « tire un trait » sur ce dossier à 606 millions de francs qui emporte la moitié des bénéfices et le directeur général de la banque. Un écueil de plus pour le secteur, après la débâcle de Crédit Suisse. La veille, à 6323 kilomètres à vol d’oiseau, les turbulences de l’immobilier commercial se faisaient aussi ressentir pour les passagers de l’indice bancaire régional américain KRX (jusqu’à -11% en séance), arrachant quelques hublots à la carlingue des 100 milliards de dollars de bilan de New York Community Bancorp (-37%). Un cas isolé, jusqu’à ce qu’un autre 737 max du secteur soit aussi cloué au sol…
« Qui sait le passé peut conjecturer l’avenir » écrivait Bossuet. BNP Paribas a donc aussi, pour reprendre les mots de Jean-Laurent Bonnafé, « tourné la page » du dossier des prêts immobiliers indexés sur le franc suisse en Pologne, figeant une bonne fois pour toutes à 450 millions d’euros le coût de l’affaire. Malheureusement, l’horizon est plus orageux que prévu. L’objectif de 12% de rendement des capitaux propres est décalé à 2026. Même constat chez ING et Sabadell. Induite par la politique monétaire, l’inversion de la courbe des taux est l’épine dans le pied de l’activité de transformation bancaire. Elle pourrait persister au long de 2024 : l’inflation core ne semble pas avoir baissé assez vite en janvier pour presser Christine Lagarde à agir dès le mois de mars. Et cela malgré le ralentissement notable de l’économie européenne.
Pour l’instant, la première salve de résultats d’entreprises confirme le fléchissement de la zone euro. Un cinquième du Stoxx Europe 600 a publié. L’activité commerciale est mauvaise : les chiffres d’affaires baissent de 3%. Sur 10 secteurs, 6 sont en croissance nulle ou négative des ventes. Même tendance du côté des bénéfices par action : -4% au global. Les secteurs liés aux matières premières (matériaux, énergie) sont les plus touchés. Les sociétés de consommation discrétionnaire résistent le mieux (avec LVMH en tête) mais dans l’ensemble, plus de la moitié des publications des entreprises déçoit : c’est le pire millésime depuis 2009. Et pourtant, malgré cela, l’optimisme prévaut. Le CAC40 campe 1% sous son record historique de 7700 points. La bourse italienne plane à son plus haut niveau depuis mars 2008.
Les marchés continuent de se focaliser sur le rebond des bénéfices attendus en 2024 : ils devraient croitre autour de 8% dans le monde selon Bank of America. Les marchés américains démarrent l’année devant l’Europe : la récession bénéficiaire de fin 2023 est nettement moins marquée (-1% pour le S&P500 au quatrième trimestre). Les méga capitalisations technologiques (qui expliquent 45% de la performance de l’indice) sont le rempart contre le pessimisme, à l’épreuve de l’entrée dans le temps fort de la campagne présidentielle. Dans le meilleur des cas, Biden l’emporte, fort d’un bilan économique satisfaisant et d’une politique étrangère apaisée. Dans l’autre, l’impôt sur les sociétés descend à 15%, les droits de douane sur l’Europe augmentent et les sociétés du vieux continent répondent en se localisant aux Etats-Unis. Quitte à y faire coter leurs titres, comme CRH, Flutter, Fergusson et Linde. De quoi consoler les marchés à quelques mois de la sortie de l’épisode II : « la revanche de Trump », d’autant que la baisse des taux devrait avoir d’ici là fait son retour flamboyant sur les écrans.
Jerome Powell peut mettre de l’eau dans son vin en décidant peut-être de sauter les oscars en mars, les chiffres de l’emploi vendredi peuvent dépasser les attentes les plus optimistes : rien n’y fait. Les marchés confessent leur foi dans la baisse des taux et achètent le scénario « boucle d’or » : résistance de la croissance grâce au plein emploi du consommateur. Les marchés rêvent de nouveaux sommets, la prime de risque du S&P 500 continue de se comprimer à plus bas de 23 ans… N’en déplaise aux réalisateurs satiriques qui s’essayent au documentaire catastrophe, comme Nassim Nicholas Taleb, qui pointe du doigt l’éléphant du déficit public (7,5% sous Biden) dans le magasin de porcelaine, la dette mondiale qui pulvérise le record de 224 mille milliards de dollars ou les fêlures qui entaillent le paysage immobilier commercial. Pour reprendre la formule de Daniel Cohen, les marchés sont en proie à leur « désir infini » jusqu’à ce qu’ils réalisent que « le monde est clos » …