Thomas Planell, Gérant – analyste DNCA Investments.
La corrélation entre les actions et les taux longs ne faiblit pas, bien au contraire.« It’s all about bonds ! » résument à tour de rôle les éditos financiers anglo-saxons. Alors, quand les chiffres économiques augurent du scénario de rêve : une modération désinflationniste de la croissance, c’est l’euphorie. Galvanisés par de tels auspices, les marchés exaltent la même ardeur que leur insufflait autrefois l’évangile d’un nouveau quantitative easing à venir. Rallye combiné de l’obligataire et des actions, resserrement des spreads de crédit, écrasement du VIX, cycliques et défensives fermement ancrée dans le vert et à l’unisson : rien ne manque à la fresque de la révélation.
Et puis viennent fatalement les lendemains qui déchantent. Une adjudication délicate, ou plutôt, une indigestion obligataire provoque une poussée bubonique de 20 points de base sur les taux à 30 ans, et c’est la mise au tombeau du S&P500 et du Nasdaq, suivis dans la moiteur des ténèbres le lendemain matin par les indices européens.
On en viendrait presque à oublier le temps fort des résultats d’entreprises, s’ils n’étaient pas autant sanctionnés quand ils déçoivent. La moitié de la capitalisation du STOXX 600 est allée à confesse, mais si péché d’orgueil il y’a, c’est du côté des analystes et des marchés qu’il faut peut-être porter nos regards accusateurs. Les attentes de chiffres d’affaires, ambitieuses, étaient probablement trop élevées dans le contexte actuel. Car pour la première fois depuis 6 ans, selon Morgan Stanley, il y a davantage de déceptions que de bonnes surprises en termes de croissance en Europe. Les déboires se concentrent dans le secteur des utilities, des matériaux et de la consommation. En cause, la faiblesse des débouchés chinois pour nos entreprises exportatrices (relevée par Nestlé, Carlsberg et Anglo American), la frilosité du consommateur européen (comme en attestent Unilever, Worldline et AB Food) et les effets de déstockage (ressentis par Sandvik, Ametek) : des facteurs qui, en somme, ne datent pas d’hier. Heureusement, les bénéfices par action résistent pour l’instant au repli des volumes d’affaires, notamment du côté des sociétés « value ». 14% d’entre elles, en net, surprennent les attentes contre seulement 8% pour les valeurs « croissance ». En revanche, le chapelet d’avertissements sur résultats se rallonge chaque semaine dans l’industrie.
Dans cet environnement, les petites et moyennes capitalisations n’ont pas fini d’arpenter leur chemin de croix. En net, seulement 5% des midcaps ont battu les attentes en matière de résultat par action, contre 1% seulement pour les small caps. De quoi aggraver la tendance à l’œuvre depuis début 2022 : le Stoxx 600 Mid est en baisse de 13% contre -2% pour le Stoxx Europe 600 (dividende réinvesti). Les carnets d’ordres des valeurs intermédiaires de la cote, moins profonds, sont purgés par la marée descendante des liquidités. Mais cela suffit-il à expliquer l’intégralité de l’écart de performance, particulièrement saisissant aux Etats-Unis : -22% pour le Russel 2000 contre -5,28% pour le S&P500 depuis janvier 2022 ?
La marge opérationnelle des petites et moyennes entreprises est en moyenne structurellement inférieure à celle des grandes : 3 points d’écart actuellement en Europe. Elles sont pénalisées par des effets d’échelle de moindre envergure et une plus grande difficulté que les grands groupes (qui sont souvent leurs clients…) à imposer des hausses de prix. D’où l’érosion visible de la marge brute depuis la deuxième partie de l’an dernier… Ce poste du compte de résultat est le premier indicateur de profitabilité (chiffre d’affaires auquel on soustrait les coûts des produits vendus) et correspond à ce que le client accepte tout simplement de payer en plus du coût physique de la marchandise. C’est une mesure du pricing power.
Attention à ne pas confondre profitabilité… et rentabilité. Une erreur qui peut coûter cher en matière d’analyse financière. La première est une mesure de la marge, autrement dit, de la capacité à réaliser un bénéfice au cours d’un acte commercial. La rentabilité, en revanche, désigne le taux auquel ce bénéfice rémunère le capital investi par les actionnaires et celui avancé par les créanciers… Et c’est ici que se trouve le talon d’Achille des petites entreprises, notamment américaines : un coût de la dette plus élevé, souvent contractée à taux variable, de plus en plus difficile à refinancer au fur et à mesure que le bilan se fragilise… notamment par le recours fréquent à l’affacturage (également affecté par les taux) qui réduit la qualité de la génération de trésorerie quand les volumes se retournent…Malheureusement, c’est souvent au moment où les marges rétrécissent que les capitaux se renchérissent. Pour les petites et moyennes capitalisations plus que pour les grandes, l’effet ciseaux est sévère sur la rentabilité.
Sur la base de leur Price to Book Value (ou valeur de marché des capitaux propres), les moyennes capitalisations subissent leur décote la plus sévère depuis cinq ans face aux blue chips. A moyen terme, elles peuvent être celles, comme cela fut souvent le cas, qui profiteront alors le plus de l’entrée de l’économie européenne en mode recovery ou d’un assouplissement des conditions financières. A long terme, constituant le tissu économique domestique, elles pourraient en outre bénéficier tout particulièrement des tendances de relocalisation industrielle ou énergétique (renouvelables). Cependant, le manque de visibilité à court terme ne permet pas de dire si les small et midcapers ont achevé de manger leur pain noir. Malheureusement comme le note Paul Claudel, « on ne peut manger son pain et le garder »… Une réalité amère pour ces valeurs moins liquides, qui ne peuvent autant compter que les blue chips sur le rendement de leur dividende ou de puissants programmes de rachats d’actions pour ancrer leur cours dans ces phases délicates de marché.