Thomas Planell, Gérant – analyste DNCA Investments.
Retour au niveau de la crise bancaire SVB pour les taux à deux ans aux Etats-Unis après les chiffres de l’emploi solides, appuyés par un taux de chômage inférieur aux attentes (3,6%) qui ne militent pas en faveur d’un atterrissage de l’économie (et donc de l’inflation core). Dans sa lutte contre l’inflation sous-jacente, persistante, la FED compose avec un Inflation Reduction Act qui n’a de désinflationniste que le nom et devra continuer de monter les taux en 2023. Peut-être regrette-t-elle déjà la pause qu’elle a offerte aux marchés et qui n’a pas été étrangère à l’expansion des multiples des actions ?
Une course contre la montre s’est peut-être enclenchée. En théorie, Jay Powell est indépendant de la Maison Blanche. Mais peut-t-il laisser le sacrifice qu’il est prêt à faire subir à l’économie déborder sur 2024, année d’élection, pour mener à bien sa mission de restauration de la stabilité des prix ? Ou se trouve t’il dos au mur en béton armé de la fragilité du système bancaire régional et du calendrier électoral ? Autrement dit, doit-il de s’arrêter de monter les taux en décembre et se résigner à accepter 4% d’inflation core ?
Ce sont les questions que se posent les marchés qui propulsent les taux réels au-dessus du plafond artificiel des 1,5% à 10 ans face à cette résilience miraculeuse de la croissance américaine, ce « problème de riche » que la Chine et l’Europe envient tant. Sur notre continent, les indices PMI du secteur de la construction s’écroulent, au plus bas depuis février 2021 tandis que la croissance des promoteurs chinois dérape en juin, entrainant le minerai de fer à la baisse, au grand dam du PDG de BHP qui exhorte le Parti à la relance ! Il est vrai que le colosse aux pieds d’argile chinois halète, compose avec un chômage des jeunes explosif et une activité industrielle qui enchaine les faux départs.
Ce caractère asynchrone de la croissance mondiale intervient au moment où le morcèlement géopolitique et le choc des modèles économiques s’accroit. Au bellicisme technologique et commercial des Etats-Unis répond la doctrine de la guerre des ressources stratégiques de la Chine qui limitera dès le mois d’aout ses exportations de terres rares (elle produit 60% du marché mondial). Xi Jinping n’oublie pas les enjeux de puissance et fait de la sécurité énergétique le fer de lance de sa politique : en un an, la Chine va installer plus de panneaux solaires que n’en comptent les Etats-Unis. 10 à 20 GW de capacité mensuelle additionnelle. Au cours des 4 premiers mois de l’année, la capacité solaire a cru de 190% par rapport à l’an dernier, la capacité éolienne de 50%, les chargeurs de 80%, et les réseaux électriques de 10%! S’il est aujourd’hui un grand bond en avant, c’est bel et bien du côté de la transition.
Les investisseurs quant à eux transitent d’un semestre exceptionnel et inattendu pour les actifs risqués (Eurostoxx 50 +12%, S&P + 16%, Nasdaq + 39%, Nikkei + 27%, renaissance du Bitcoin malgré l’effondrement de FTX) vers une deuxième partie d’année qui semble débuter par les mêmes interrogations que l’an dernier. Elle commence sur les chapeaux de roue, avec, outre les publications de résultats (notamment celles des grands gagnants du rallye – Apple, Microsoft, Google -), les indices d’inflation américains mardi, auxquels succèderont un sommet de l’OTAN sous tension, le sempiternel rendez-vous entre les marchés et les banques centrales (BCE le 25 juillet suivi de la FED le 26 et de la BOJ le 27), et enfin, le Politburo chinois pour clore ce premier mois du second semestre. La trêve estivale ne semble pas à l’ordre du jour des banques centrales et des marchés. Ainsi que les bêtes de pâture, ils entament leur transhumance, dans l’espoir quelque peu entamé d’atteindre les terres paisibles d’une inflation stabilisée et de températures obligataires qui s’adoucissent…