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La volatilité du marché obligataire a rendu les investisseurs méfiants. Pourtant, cela faisait quelque temps que les rendements offerts par les obligations à maturité courte n’avaient plus été aussi attrayants

Mickael Benhaim, Head of Fixed Income Investment Strategy & Solutions – Pictet Asset Management.

À la suite des récentes tensions observées sur le marché de l’obligataire, on peut aisément comprendre les hésitations et interrogations des investisseurs. Néanmoins, ceux qui restent à l’écart risquent de passer à côté de certaines des performances ajustées au risque les plus attrayantes. C’est en effet ce qu’offrent les obligations avec maturité courte en ce moment.

L’incertitude sur le cap politique que suivront les grandes banques centrales mondiales, en particulier la Réserve fédérale américaine, au cours des prochains mois est la principale cause des récents atermoiements du marché obligataire. Les banquiers centraux doivent trancher entre éviter une récession et faire revenir l’inflation vers leur objectif. 

Cette incertitude est prise en compte à l’extrémité longue de la courbe des taux – au niveau des obligations à maturité longue. Le rendement des bons du Trésor américain à 10 ans, qui oscillait autour de 3,5% en début d’année, a récemment franchi la barre des 5%.

La situation est nettement moins problématique à l’extrémité la plus courte de la courbe. Les investisseurs y trouveront des rendements parmi les plus élevés depuis plus d’une décennie, ce qui suffira à leur éviter de subir une baisse de leur performance totale, même en cas de nouveau durcissement des politiques monétaires. Les rendements des obligations dont l’échéance est comprise entre un et trois ans apparaissent plus avantageux que ce que l’on peut trouver sur l’ensemble d’une courbe des taux toujours plate, y compris sur les marchés monétaires. Cela dit, contrairement aux obligations à maturité longue, ces titres offrent un certain degré de protection contre les hausses de taux supplémentaires (voir Fig. 3 et 4) en cas de maintien de l’inflation.

Remise en cause des banques centrales

Plus ou moins jusqu’au début de cette année, les marchés obligataires étaient convaincus que la spectaculaire série de hausses de taux réalisées par les banques centrales au cours de l’année 2022 allait non seulement faire revenir l’inflation vers son objectif, mais aussi déclencher une récession. Dès lors, les cours des obligations intégraient les prévisions d’un pic des taux de courte durée, suivi de fortes baisses, en particulier aux États-Unis. 

Néanmoins, comme l’inflation s’avère plus persistante et les économies plus solides que prévu, ces certitudes se sont évanouies. Par exemple, le marché ne considère plus que la Fed a suffisamment resserré sa politique pour ramener l’inflation à son objectif de 2% sur un horizon de temps raisonnable. ​ 

Fig. 1 – Coup de fouet

Trajectoire implicite du futur taux des fonds fédéraux aux 31.12.2022 et 01.11.2023, %

Source: Pictet Asset Management, Bloomberg. Données au 01.11.2023.
Source: Pictet Asset Management, Bloomberg. Données au 01.11.2023.

L’inflation persistante empêche ainsi la Fed de réduire ses taux aussi tôt ou aussi vite que l’espéraient les marchés. Le consensus table maintenant sur un taux des fonds fédéraux se maintenant aux niveaux actuels de 5,25% à 5,5%, voire plus, pendant une période significative, ce qui a provoqué une forte correction sur l’extrémité plus longue du marché obligataire (voir Fig. 1).

Cela dit, même lorsque les taux commenceront à baisser, ils ne retrouveront pas leur niveau affiché pendant la décennie qui a suivi la crise financière mondiale. Pour savoir pourquoi, il faut se pencher sur les éléments constitutifs des rendements obligataires. 

Trouver le taux neutre

Selon la théorie économique, le taux d’intérêt neutre réel correspond à l’équilibre entre les demandes d’épargne et d’investissement. Au cours de la dernière décennie, ce taux neutre était proche de zéro, en partie grâce à une demande élevée d’épargne dans les économies asiatiques, à l’augmentation du nombre de personnes constituant des fonds de retraite et à une demande d’investissement modérée.

Toutefois, l’évolution actuelle de ces dynamiques pourrait maintenir les taux à des niveaux plus élevés que ceux auxquels les investisseurs étaient habitués. D’une part, la demande d’investissement devrait être colossale, notamment pour alimenter la transition énergétique et le développement de l’intelligence artificielle. Comme l’épargne ne devrait pas connaître le même rythme de croissance, il y aura certainement une hausse du taux d’intérêt neutre par rapport au bas niveau affiché ces dix dernières années (voir Fig. 2).

Pour les États-Unis, les estimations du taux neutre vont de 0,5% à environ 2,5%. Nous penchons plutôt pour le deuxième chiffre. Une fois prises en compte les prévisions d’inflation et la prime d’échéance, ce niveau suggère un rendement nominal minimum sur les bons du Trésor à maturité longue d’environ 4,5% soit 2% pour l’inflation cible, 2% pour le taux neutre plus une prime d’échéance légèrement positive. 

Fig. 2 – Ventilation

Composition des rendements des bons du Trésor américain à 10 ans, ventilés entre le taux réel et le point mort d’inflation, %

Source: Pictet Asset Management, Bloomberg. Données au 01.11.2023.
Source: Pictet Asset Management, Bloomberg. Données au 01.11.2023.

Des taux plus élevés, mais tout juste restrictifs

Tout cela suggère que la série de hausses de taux de la Fed a seulement atteint le niveau d’une politique monétaire restrictive. Et quand bien même, certains facteurs limitent l’effet de ces taux sur l’économie réelle. D’une part, les ménages américains ont généralement signé des hypothèques sur 30 ans et de nombreux prêts en cours affichent des taux d’intérêt nettement inférieurs. En outre, une partie non négligeable d’entre eux possède déjà tout simplement son logement. Par ailleurs, bien que les ménages aient consommé l’excédent d’épargne qu’ils ont constitué pendant la pandémie de Covid, environ un tiers de ces sommes n’a pas encore été touché, ce qui leur offre une protection en cas de changement de climat économique. Parallèlement, les entreprises qui ont emprunté à des taux ultra-bas pendant la pandémie ne commenceront à faire rouler des volumes significatifs de dette que vers la fin de l’année prochaine.

L’ère des rendements obligataires nuls ou négatifs est révolue 

Enfin, les déficits publics du gouvernement américain sont colossaux. Dans les faits, les mesures de relance budgétaire compensent le freinage exercé par la politique monétaire. L’incertitude quant à la méthode à appliquer pour financer ces déficits complique encore un peu plus la situation. Le gouvernement va-t-il émettre des obligations à long terme alors que la Fed est en plein resserrement quantitatif, ce qui pourrait provoquer une indigestion historique sur les marchés? 

Mis bout à bout, ces facteurs vont probablement maintenir les investisseurs dans un état d’incertitude renforcée. Éliminer une partie de cette incertitude – par exemple avec un nouveau resserrement de la Fed – pourrait bien faire baisser les rendements à long terme, même si cela pousse l’extrémité courte de la courbe vers le haut. Ce scénario n’est cependant pas le plus probable.

Les conséquences pour les investisseurs…

Les investisseurs obligataires ont raison de se préoccuper de l’extrémité longue de la courbe. Ces deux dernières années, ils ont subi des pertes importantes sur ce qu’ils pensaient être une classe d’actifs sûre. Cependant, les rendements réels les rémunèrent suffisamment, les obligations du Trésor américain à 10 ans indexées sur l’inflation rapportent ainsi 2,5%. Historiquement, c’est une performance réelle élevée pour des actifs considérés comme sûrs.

Les performances proposées à l’extrémité courte de la courbe obligataire attirent davantage l’attention. Les investisseurs sont récompensés par les rendements significatifs offerts par un grand nombre d’obligations et d’instruments de crédit. En effet, nos recherches montrent que les coupons sur ces instruments sont suffisamment élevés pour que les obligations génèrent des performances positives même en cas de hausses substantielles des taux directeurs.

Selon notre analyse, les obligations à maturité courte constituent le choix idéal sur le marché obligataire. Elles permettent d’augmenter les rendements par rapport aux fonds du marché monétaire, mais sans y ajouter les risques liés aux obligations à plus long terme. Ainsi, le crédit à haut rendement à court terme américain offre un rendement de 9,7% (en dollars américains) contre environ 5,3% pour le marché monétaire. Le point mort de 5,5% signifie que ces obligations peuvent également résister à une multiplication par deux des taux d’intérêt directeurs américains sur un an avant de subir une perte. Bien que le crédit à haut rendement américain à plus longue échéance offre également un rendement à l’échéance substantiel de 9,4%, son point mort ne s’élève qu’à la moitié de celui des obligations arrivant à échéance dans 1 à 3 ans (voir Fig. 3 et 4). Il en va de même dans l’univers des obligations à maturité courte. 

Fig. 3 – Rendements solides

Rendement à l’échéance de différentes catégories de titres obligataires, en USD, %

EC désigne des instruments à échéance courte, de 1 à 3 ans. Source: Pictet Asset Management, Bloomberg. Données au 01.11.2023
EC désigne des instruments à échéance courte, de 1 à 3 ans. Source: Pictet Asset Management, Bloomberg. Données au 01.11.2023

Fig. 4 – Marge de sécurité

Points morts* de différentes obligations, %

* Le point mort est le niveau de hausse maximale des taux d’intérêt directeurs ne provoquant pas de perte en capital pour les investisseurs sur un an. Source: Pictet Asset Management, Bloomberg. Données au 01.11.2023.
* Le point mort est le niveau de hausse maximale des taux d’intérêt directeurs ne provoquant pas de perte en capital pour les investisseurs sur un an. Source: Pictet Asset Management, Bloomberg. Données au 01.11.2023.

À mesure que le cycle économique progressera et que la croissance ralentira, les taux d’intérêt directeurs devraient vraisemblablement baisser de concert avec l’inflation. Cela dit, les investisseurs qui tablent sur un retour à la situation qui prévalait lors la décennie suivant le krach de 2008 risquent d’être déçus. Les taux seront plus élevés qu’à l’époque. L’ère des rendements obligataires nuls ou négatifs est probablement révolue. L’inflation devrait rester plus élevée que ce à quoi nous étions habitués, tandis que des facteurs structurels à long terme suggèrent que les investisseurs profiteront de taux réels positifs. L’incertitude concernant les politiques monétaires qu’appliqueront les banques centrales et la persistance de l’inflation annoncent une période de volatilité accrue, qui tend à affecter surtout les obligations à maturité longue. En revanche, les investisseurs en obligations à maturité courte bénéficient des rendements élevés. ​ 

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