Didier Bouvignies, Associé-Gérant, Directeur des gestions Rothschild & Co Asset Management.
Contrairement au scénario envisagé, la victoire de Donald Trump dans la course à la présidentielle américaine semble nette. Au regard de l’écart entre les deux candidats, un recomptage des voix ne s’imposera pas, alors qu’un « Republican sweep scenario » semble même se concrétiser. Ce « grand chelem » comprenant le gain cumulé de la Maison Blanche et de la majorité au Sénat et à la Chambre des Représentants (à confirmer) devrait permettre au 47e président des États-Unis d’avoir les coudées franches pour son second mandat.
Les marchés ne font ni politique, ni morale. Comme dans l’immobilier, où les investissements sont fonction des loyers perçus et du taux d’emprunt, les investisseurs en actions jugent les programmes sur leur influence vis-à-vis des bénéfices des sociétés. Cette vue, généralement à court terme, prend également en compte le niveau de taux d’intérêt avec lequel ils devront les actualiser.
Concernant les bénéfices, avec son programme pro-business favorisant la croissance et les profits, l’élection de D. Trump est plutôt bien perçue. Les principales mesures concernent :
- La baisse du taux d’imposition des sociétés de 21 % à 15 %, dont l’impact sur les bénéfices par action est estimé entre +3 % et 4 % pour 20261.
- La reconduction de baisses d’impôts pour les ménages et les entreprises promulguées en 2017 arrivant à échéance et dont le coût est estimé entre 3 300 et 4 600 milliards de dollars sur 10 ans2.
- Une énergie moins chère, avec la fin des restrictions imposées aux forages pétroliers et gaziers.
- Une dérégulation du secteur bancaire.
Ces mesurent comportent, néanmoins, un risque non négligeable de hausse des taux d’intérêt dans la composante inflationniste avec :
- La mise en place de tarifs douaniers de 60 % sur les importations chinoises et de 10 % sur les autres.
- Un plan sur l’immigration qui vise à expulser 3 millions de migrants illégaux, qui ont toutefois largement contribué à la productivité et à limiter les pressions inflationnistes sous l’ère Biden.
Mais également dans la composante réelle, en raison :
- De perspectives de baisse des taux d’intervention de la Fed plus modérées, à cause d’une hausse des risques liés au rythme de croissance et d’inflation potentiellement engendré par l’application du programme de D. Trump.
- D’une politique budgétaire conduisant à un creusement du déficit budgétaire estimé à 7,5 trillions de dollars à horizon 2035 et dont le déficit s’élève à 6,4 % du PIB2. La dette publique s’élevant actuellement à 120 % pourrait s’avérer difficilement contrôlable et inciter les investisseurs à relever le taux terminal3.
- D’une incertitude sur l’avenir avec un risque d’erreur de politique monétaire de la Fed, susceptible de justifier également d’une hausse du taux neutre.
L’impact de cette élection sur le reste du monde s’avère délicat à envisager, notamment pour la Chine et l’Europe. Pour les entreprises européennes, un retour de Donald Trump à la Maison Blanche est synonyme de politique commerciale défavorable et d’incertitudes géopolitiques considérables, avec des implications négatives pour la croissance du Continent. D’autant que l’Europe, dans les importations américaines, était en progression, à 23 %, alors que la Chine décélérait, à 17 %4. Pour cette dernière, les espoirs d’un plan de relance plus précis, voire plus massif, vont aider à crédibiliser les premières initiatives.
Toutefois les retombées positives d’une croissance américaine, temporairement plus rapide, et d’un dollar américain plus fort peuvent atténuer quelque peu ces dommages. Une croissance plus faible en Europe pourrait aussi faire pencher la balance vers une position légèrement plus souple de la part de la Banque centrale européenne.
L’approche de Trump sur les questions géopolitiques (moindre soutien à l’Ukraine, pression sur Kiev pour faire accepter un armistice dans des conditions favorables à la Russie) reste un enjeu majeur. Leurs conséquences sont aussi importantes pour l’Europe, que pour la Chine, afin d’évaluer la détermination des États-Unis à dissuader une potentielle tentative prise de Taïwan par la force. Les marchés n’auront sans doute pas la volonté d’en anticiper les impacts à ce stade.
Quelles conséquences pour les marchés ?
Contrairement à 2016, le résultat de cette élection n’est pas une véritable surprise pour les marchés. Les investisseurs ont largement misé sur le « Trump trade » depuis le début du mois d’octobre, en témoigne les hausses de taux ignorées par le marché d’actions qui a continué d’aligner des records successifs.
Plusieurs secteurs devraient sortir gagnants, au premier rang desquels, les Banques, l’Énergie et les Industrielles quand, pour les valeurs de consommation importatrices et les renouvelables, l’horizon s’avère plus sombre. Concernant la Technologie, les effets sont plus incertains. L’éloignement d’une remise en cause des monopoles s’avère plutôt favorable au secteur mais l’appréciation du dollar et les relations difficiles de D. Trump avec les dirigeants de la « Tech » pourraient avoir des effets délétères. Le billet vert devrait profiter de la hausse des taux et des perspectives de croissance, les cryptomonnaies des mesures de promotion de la devise numérique et des craintes sur l’emballement de la dette.
L’histoire des marchés nous incite toutefois à penser qu’il convient de tempérer ces réactions. Les attentes des investisseurs vis-à-vis des considérations politiques ont souvent été déçues. De même, les marchés ont fréquemment préféré un congrès divisé, plutôt qu’un président disposant des pleins pouvoirs. Deux principaux éléments nourrissent cette analyse.
Le Trump 2.0 arrive à un moment du cycle économique très différent que lors de la prise de pouvoir de sa version 1.0 en 2016, avec un rythme de croissance de l’ordre de 3 %, un taux d’épargne des ménages bas et des déficits jumeaux – budgétaire à 6 % et commercial s’élevant à 1 trillion de dollars5. Lancer un programme de relance budgétaire dans ces conditions, alors que le combat contre l’inflation se poursuit, pourrait s’apparenter à jeter de l’huile sur le feu.
Par ailleurs, la formidable réussite économique des États-Unis, à nul autre pareil, se caractérise par des gains de productivité importants grâce à une flexibilité, une innovation et un soutien étatique générant des retours sur fonds propres de plus de 15 % pour les entreprises cotées1. Ces résultats ont été rendus possibles par un accès à l’épargne abondante des pays excédentaires du reste du monde (Asie, Allemagne, Pays producteurs de pétrole) qui, attirés par cette réussite, ont financé à bas taux d’intérêt les investissements du Private Equity « US America Fund ». Pour que cette dynamique perdure, il faudrait que le cycle se poursuive, alors que la dernière vraie récession remonte à 2008, mais également que les créditeurs acceptent de continuer à financer les déficits d’un partenaire potentiellement plus belliqueux.
Cette élection pourrait également se révéler comme une chance pour l’Europe. Un électrochoc incitant l’Union à réinvestir sont excédent d’épargne, actuellement de 400 milliards d’euros5, au sein de sa zone, tant les besoins en matière de défense et de transition énergique s’avèrent nécessaires.
En conclusion, le marché américain évolue sur une ligne de crète où la croissance des bénéfices peut permettre de compenser une prime de risque très faible par des espoirs de baisse des taux. Les mesures de Donald Trump pourraient perturber cette vision et, le marché de taux dictera l’évolution des marchés d’actions. Néanmoins, si le ralentissement de l’emploi observé récemment se confirme, la hausse des taux devrait être plus contenue et se révéler favorable pour les marchés actions.
(1) Source : Goldman Sachs, 2024.
(2) Source : Committee for Responsible Federal Budget, 2024.
(3) Source : Federal Reserve, 2024.
(4) Source : MUFG Bank Economic Research, 2024.
(5) Source : Bloomberg, novembre 2024.