L’année boursière commence par une bonne nouvelle pour les actions européennes qui bénéficient d’un retour en grâce de la part des investisseurs. Jusqu’à quand ? La géopolitique et les inquiétudes concernant l’IA sont également de la partie.
Christopher Dembik, Senior Investment Adviser Pictet Asset Management.
Ce début d’année a consacré le retour de la géopolitique sur le devant de la scène, le retour en grâce des actions (pour combien de temps ?) et le retour des inquiétudes concernant l’IA, vrai serpent de mer des marchés financiers.
Le retour de la géopolitique
La géopolitique fait son grand retour cette année à la faveur d’une nouvelle présidence Trump. Pour l’instant, les sorties de Donald Trump, notamment concernant le canal de Panama et le Canada, ont été considérées avec dédain par beaucoup de commentateurs français. En réalité, tout ceci est plus subtil. La nouvelle administration américaine souhaite créer un glacis stratégique en s’assurant de la mainmise des États-Unis sur le Canada et le Groenland. Dans le cas du Groenland, l’objectif est double : contrôler la nouvelle route commerciale qui s’ouvre du fait de la fonte des glaces, et accéder à des métaux indispensables pour assurer le développement économique américain et son hégémonie dans l’IA. Cela implique d’avoir le contrôle des réserves d’uranium du Groenland. C’est une question de sécurité nationale pour les États-Unis. Face à la demande des centres IA, l’uranium atteint des sommets historiques. La semaine dernière, le prix de l’uranium enrichi a explosé à 190$ par unité SWU, contre 56$ il y a trois ans !
Le nouveau président américain semble valider la nouvelle division du monde que les Russes et les Chinois promettent depuis une quinzaine d’années : des aires civilisationnelles dominées chacune par un État impérial. Nous sommes à un tournant géopolitique majeur. Il faut s’attendre à de nombreux soubresauts et à une année boursière très volatile.
La bonne excuse DeepSeek
Ce début d’année fut plutôt poussif pour la bourse américaine. Elle avait besoin de reprendre son souffle. Le contexte était propice. Les investisseurs s’interrogent depuis un moment sur les valorisations du secteur technologique. Le niveau de détention des actions américaines est élevé. Sur les trois derniers mois, les investisseurs étrangers ont acheté pour un total de 76,5 milliards de dollars d’actions américaines – un record. Il n’y avait virtuellement plus d’acheteurs sur le marché. Enfin, sans surprise, la forte concentration amplifie les mouvements de panique. Sur la plateforme Interactive Broker, populaire auprès des particuliers et des institutionnels aux États-Unis, Nvidia représentait 50% des volumes échangés en 2024. Une baisse était inévitable. DeepSeek – du nom de cette start-up chinoise qui ferait aussi bien avec un coût moindre que les géants de l’IA américains – fut la bonne excuse.
Depuis, la bourse américaine s’est reprise. Le choc lié à DeepSeek semble derrière nous. Mais la volatilité devrait rester de mise, qu’elle soit liée à des phénomènes externes, comme la guerre commerciale, ou à des facteurs plus techniques. L’ajustement en mars de la pondération de l’indice Russell 1000 Growth – le deuxième indice le plus suivi par les gestionnaires de portefeuille après le S&P 500 – pourrait provoquer quelques remous sur les valeurs technologiques américaines. Il est prévu que le poids combiné des actions ayant chacune une pondération supérieure à 4,5% soit limité à 45%. Cela pourrait conduire les fonds indiciels et les gestionnaires d’actifs à vendre les actions des Sept Magnifiques pour limiter leur poids dans les portefeuilles. Tout est propice à une volatilité durablement élevée sur les actions.
Le comeback de la bourse européenne
La surprise de ce début d’année, c’est le retour de l’Europe boursière. La deuxième plus importante rotation vers les actions européennes en vingt-cinq ans a eu lieu en janvier. C’est incroyable. Ces flux acheteurs étaient motivés essentiellement par le niveau très attrayant des actions européennes dans un contexte où beaucoup d’investisseurs trouvent les actions américaines trop chères. Est-ce un mouvement durable ou tactique ? Nous pensons que c’est essentiellement tactique. Rien ne permet d’être positif à long terme sur la dynamique économique et politique en Europe. Ceux qui s’attendent à un miracle à la suite des élections législatives en Allemagne le 23 février prochain ou à la mise en œuvre rapide des recommandations du rapport Draghi font preuve d’un optimisme irraisonné. Quant à la baisse des taux par la Banque Centrale Européenne, elle sera certes plus rapide qu’outre-Atlantique mais elle ne devrait pas permettre à la croissance de la zone euro de rebondir. Cette dernière est attendue à 1,1% par le consensus Bloomberg contre 2,3% pour la croissance américaine. C’est enfin sans compter la guerre commerciale. Dans le pire des scénarios, une guerre tarifaire ouverte entre la zone euro et les États-Unis pourrait conduire à une baisse du PIB de l’Union de 0,8%, selon nos calculs. C’est peu probable, heureusement. Bref, il n’y a pas grand-chose qui plaide en faveur de la bourse européenne. À court terme, les niveaux de valorisation peuvent exercer une influence certaine sur les décisions d’investissement. Mais il faut d’autres arguments pour un retour durable des investisseurs.
L’essentiel à retenir
- La bourse européenne a agréablement surpris en janvier
- Mais il est peu probable que le retour des investisseurs soit durable
- Les actions technologiques américaines devraient être encore très volatiles dans les semaines à venir