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Bruno Cavalier Chef économiste ODDO BHF AM.

POINTS CLÉS

  • L’économie mondiale continue de ralentir mais pour l’instant échappe à la récession.
  • Le consommateur a résisté au choc d’inflation grâce à l’emploi et à une épargne abondante.
  • Désormais, le chômage risque de remonter et l’excès d’épargne s’épuise vite.
  • L’effet restrictif maximal des politiques monétaires est encore à venir.

On a coutume de dire que les phases d’expansion ne meurent jamais de cause naturelle mais sont toujours assassinées par la banque centrale. Dans chaque reprise en effet arrive toujours un moment où les signes de surchauffe se multiplient. Cela oblige à durcir la politique monétaire et il en résulte après un certain délai un retournement du cycle économique.

L’expansion qui a suivi la récession mondiale de 2020 avait tout pour en donner un nouvel exemple. D’abord, un fort stimulus pour surmonter les effets du confinement. Puis, une poussée d’inflation, jamais vue en quatre décennies. Enfin, une hausse des taux directeurs à un rythme effréné. On débat du risque de récession globale depuis au moins un an, mais il ne s’est toujours pas matérialisé. Certainement, les rythmes de croissance ont partout ralenti mais cela n’a provoqué à ce jour ni destructions d’emploi, ni chute des profits, ni contraction de la demande, toutes choses qu’on observe dans les phases de récession.

La résistance simultanée de l’emploi, des marges et de la demande tient aux perturbations atypiques consécutives à la pandémie. Ainsi, sur le marché du travail sont apparues des pénuries de maind’œuvre. Par suite, même quand la reprise a perdu de sa vigueur à partir du printemps 2022, les entreprises ont continué à recruter. Au même moment, les entreprises devaient répondre à des chocs de demande positifs. Au début de la pandémie, tout le monde voulait des biens manufacturés, mettant sous tension l’appareil industriel et la logistique. Dans la phase de réouverture, tout le monde voulait se rattraper sur les services de loisirs et de restauration. La répétition de ces chocs a rendu la demande moins élastique à la hausse des prix. Le pouvoir de fixation des prix des entreprises s’est accru. Enfin, comme les ménages avaient accumulé une large épargne liquide quand leur mobilité était entravée, cela a servi d’amortisseur par la suite. Ils n’ont pas eu à couper leurs dépenses malgré la baisse de leurs salaires réels.

Dans les prochains trimestres, la résistance du consommateur sera mise à rude épreuve. Premièrement, si l’excès d’épargne reste encore abondant, il se normalise rapidement. Aux Etats-Unis, il a déjà été divisé par deux depuis son pic . Au rythme actuel il serait épuisé vers la fin de 2023 ou au début 2024. La tendance de la consommation devra alors se réaligner sur celle des revenus.

Deuxièmement, les entreprises auront désormais moins de latitude pour étendre leurs marges. Les pénuries d’offre dans le transport, la logistique et même l’énergie sont surmontées. De ce fait, les pressions en amont de la chaîne des prix ont disparu. Dans une phase de normalisation de la profitabilité, il serait étonnant que les entreprises ne modèrent pas leurs dépenses, tant en capital qu’en recrutement. Avec une croissance économique restant sous son potentiel, un redressement des taux de chômage est donc probable. Il est difficile en tout cas d’aller plus bas qu’aujourd’hui (graphe).

Troisièmement, les conditions de crédit n’ont cessé de se durcir depuis un an. En réponse, la demande de crédit du secteur privé a chuté, en particulier après l’épisode récent de stress bancaire aux Etats-Unis. En zone euro, les flux de crédit bancaire sont presque taris depuis le début de l’année. La correction est particulièrement forte en ce qui concerne les prêts immobiliers.

Quatrièmement, la politique économique se fait également de plus en restrictive. Dans le champ budgétaire, la remontée des taux d’intérêt a ravivé les interrogations sur la dynamique de la dette. La mini-crise budgétaire britannique de l’automne dernier a montré que la complaisance des marchés n’était pas sans limite. Pour ne pas connaître le même sort, les gouvernements européens affichent une programmation budgétaire plus restrictive à moyen terme. Selon la Commission européenne, l’effort budgétaire approcherait presque un point de PIB en 2024. Aux Etats-Unis, l’accord négocié sur le relèvement du plafond de dette envisage une modeste austérité budgétaire dans les deux prochaines années.

Sur le front monétaire, compte tenu des longs délais de transmission à l’économie réelle, l’effet restrictif continue de grossir et ne sera maximal qu’en 2024.

On peut d’ailleurs se demander si la banquiers centraux qui ont tardé à réagir à la poussée d’inflation qui s’amorçait en 2021 ne risquent pas de faire l’erreur inverse en 2023. Ils étaient trop accommodants alors, ne sont-ils pas trop restrictifs aujourd’hui ? Certes, on ne peut contester que l’inflation, malgré une amorce de repli, reste très élevée. Toutefois, en amont de la chaîne des prix, l’apaisement des tensions est spectaculaire. Le même phénomène va se répercuter en aval sur le consommateur final. Continuer de durcir la politique monétaire, comme la BCE en a l’intention, c’est réagir aux chocs d’hier, non aux conditions économiques qui se dessinent pour demain.

Au total, du fait de la désinflation, le pouvoir d’achat des ménages sera sûrement moins pressuré dans les prochains trimestres, mais les déterminants de leur revenu disponible (emploi, salaires, transferts nets) vont tous évoluer dans un sens moins favorable. En somme, c’est un test de résistance que va subir le consommateur en Europe et aux Etats-Unis dans les prochains mois.

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