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Thomas Planell, Gérant-analyste chez DNCA   Thomas Planell, Gérant-analyste chez DNCA ​ ​

Ainsi que les créatures du bestiaire fantastique de Lovecraft, les monstres du passé ont resurgi des profondeurs oubliées au commencement de la deuxième décennie de ce millénaire. Mais davantage que la guerre et la pandémie réunies, c’est l’hydre de l’inflation qui a tourmenté avec le plus d’affliction les investisseurs et les banquiers centraux.

Dans ses romans, le maître américain de l’effroi s’amuse à soumettre ses personnages à une double épreuve, tel que le personnage principal de Dagon, officier de marine échoué sur une île inconnue aux étranges hiéroglyphes, luttant tantôt contre les assauts d’un titan ichtyoïde et ceux de sa dépendance aux antidouleurs. Pour les banques centrales, s’attaquer au dragon de l’inflation n’aura été possible qu’au terme d’une épreuve initiatique douloureuse et similaire à celle du malheureux marin : le sevrage forcé de cette morphine des taux d’intérêt négatifs qui a trop coulé dans les veines des marchés.

Depuis novembre 2021, dix-huit trilliards de dollars de dette à taux négatifs, cette antimatière financière, cette anomalie du début du siècle, ont disparu, consumés par le feu vengeur du krach obligataire de 2022.Ainsi que Jerome Powell, qui brandit le faisceau d’une hausse de 4,25% de ses taux directeurs pour sabrer le pic d’inflation qui a atteint jusqu’à 9,1% Outre-Atlantique, Christine Lagarde a su finalement s’affranchir du legs accommodant de son prédécesseur et emprunter sans ambages la voie de l’austérité monétaire, plus proche de celle de Trichet.

Dans son discours de décembre (probablement le plus emblématique de l’institution depuis 2013), elle se pare des mêmes attributs dont Mario Draghi fit montre dans sa lutte pour la survie de l’euro : une détermination et un engagement à toute épreuve… qu’elle dédie désormais entièrement à la sacro-sainte tâche de faire plier le genou au démon de l’inflation.

Il est encore trop tôt pour affirmer que le combat est gagné, néanmoins, à la faveur du repli des prix du gaz, au moment où la France, forte d’une disponibilité de 75% de ses réacteurs nucléaires, exporte à nouveau de l’électricité, la hantise d’une récession énergétique violente se dissipe.La banque américaine Goldman Sachs revoit d’ailleurs ses attentes de croissance en zone euro (+0,6% contre -0,1% auparavant), ajoutant à l’attractivité relative des actions européennes (qui offrent un rendement du bénéfice pour les douze prochains mois attendu à plus de 8% contre seulement 5,7% aux Etats-Unis).

Le ralentissement de l’inflation ne devrait pas pour autant faire douter Christine Lagarde de son engagement. Au contraire, la perspective d’un soft landing rend l’économie européenne moins vulnérable à la hausse des taux.  Cela pourrait être l’occasion de rattraper le retard pris en 2022 en accélérant la cadence (+50 points de base en février et mars selon Goldman Sachs). La marge de manœuvre monétaire serait ainsi reconstituée plus vite. Par ailleurs, la BCE travaille avec un effet de lag de 3-4 mois. Il faut encore au moins un trimestre de baisse continue de l’inflation pour acter son repli !

Il ne sera pas chose aisée de calibrer les politiques monétaires et étatiques pour faire atterrir l’Union monétaire dans la zone idéale, une cible étroite coincée quelque part entre la récession « monétaire » et à la récession énergétique… D’autant qu’à court terme, le risque énergétique n’est pas totalement écarté : le pétrole paraît étonnamment peu cher eu égard à la vigueur de la réouverture de la chine, des stocks réduits aux Etats-Unis et de la chute de l’offre russe.

Certes, l’accumulation de stocks pendant la politique zero covid, les incertitudes quant à la croissance mondiale peuvent justifier les cours sous les 80$. Mais, en raison du prix du sang payé (l’hécatombe la plus violente depuis les 36 millions de morts du grand bond en avant), le soutien désormais inconditionnel du parti à la reprise (politique monétaire en support au privé, fin de la réforme des géants de l’internet, soutien au bilan des développeurs immobiliers et mesures en faveur du résidentiel…) devrait avoir raison des inventaires pétroliers.

D’ailleurs, les métaux industriels montrent peut-être la voie. Ils progressent avec les données de mobilité et les annonces pro croissance du parti depuis le week-end dernier. L’aluminium, le minerai de fer et le cuivre progressent respectivement de 7%, 8% et 10% depuis le début de l’année.

L’or, de retour au-dessus de 1900$ l’once, a su résister au rebond des taux réels de début d’année et prospère depuis leur repli, au gré de chiffres d’inflation encourageants des deux côtés de l’Atlantique. Il pourrait bénéficier en 2023 de conditions favorables pour jouer son rôle protecteur : plafonnement voire retrait des taux réels, incertitudes entourant la croissance, repli du dollar au fur et à mesure que le programme de hausse des taux approche de son terme aux Etats-Unis.

Pour les investisseurs soucieux de percevoir un rendement que n’offre pas le métal précieux, le crédit investment grade européen délivre 4% de rendement actuariel en moyenne (un plus haut depuis 2012) contre 7,5% pour le gisement noté BBB- ou moins. Quant aux obligations AT1 offertes par les banques européennes, bien mieux capitalisées qu’en 2008, elles détachent un coupon équivalent au rendement bénéficiaire du marché actions… Au terme de l’un des meilleurs débuts d’année de l’histoire des actions européennes, les investisseurs qui souhaitent privilégier la prudence au sein de leur portefeuille pourraient découvrir la pertinence de ces alternatives rémunératrices face aux marchés actions… Et peut-être aussi, l’espoir d’une alternative au monde, parfois monstrueux, auquel 2022 nous a malheureusement trop habitués…

KFI

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