Thomas Planell, DNCA Investments.
Dans le monde des dérivés, on distingue les options d’achat européennes (call) des américaines.
Les premières ne sont pas exerçables avant la date de maturité. Les secondes, fidèles à l’American Way of life, peuvent -être appelées tout au long de la vie du produit. Rien n’étant gratuit sur les marchés, y compris la liberté, une option américaine est donc généralement plus chère. L’acheteur d’un call ne doit pas oublier qu’il doit s’acquitter du prix de la dispersion du champ des possibles. Plus les anticipations de volatilité sont élevées, plus chère est la prime à verser au vendeur de l’option.
Les indices Vix et Vstoxx nous indiquent quel est, à l’instant « t », le prix de marché de la volatilité attendue au cours des 3 prochains mois pour le S&P500 et l’Eurostoxx 50. Depuis des niveaux extrêmement bas atteints autour de la mi-mai (12%), ces « indices de la peur » remontent de deux points sur la semaine. Simple normalisation ? Ou début de la fin de la complaisance des marchés à l’égard des risques ?
Les investisseurs ont réussi à détourner leur regard de l’incapacité américaine à contrôler la doctrine militaire israélienne. Ils ignorent le risque croissant de voir l’Ukraine tentée d’activer l’implication de l’OTAN, en réponse au changement de position récent de la Russie, à savoir l’ouverture de Poutine à un cessez le feu entérinant ses avancées militaires récentes.
Détourneront-ils aussi leur regard du front (moins tragique) de l’inflation ? Globalement, sa composante sous-jacente (presque 4% au Royaume-Uni, 3,6% aux Etats-Unis, 2,9% en Allemagne, 2,4% au Japon) ne décélère que très péniblement. En zone Euro, les prix à la consommation ont d’ailleurs augmenté davantage que prévu en mai (2,6%) sans que cela ne provienne des composants volatiles que sont l’énergie et l’alimentaire… Globalement, l’inflation est installée solidement au-dessus des cibles des banques centrales, à la veille des baisses de taux théoriques du second semestre. L’étonnante résilience des économies développées aux programmes de hausse de taux directeurs parmi les plus violents de l’histoire moderne explique une partie de la persistance de l’inflation. Elle ravive le débat autour du niveau auquel devrait se situer le taux neutre (r*).
« R étoile » désigne le taux directeur théorique auquel une banque centrale ne stimule ni ne contraint l’économie. C’est en quelque sorte l’inclinaison de la route qui permet à une voiture de garder sa vitesse constante au point mort sans avoir ni à freiner, ni à appuyer sur l’accélérateur.
Le creusement des déficits publics, qui a certainement joué un rôle majeur dans la résistance des économies aux hausses de taux, est insoutenable, selon Christopher Wallen. Il peut conduire à une offre de bons du trésor supérieur à la demande, faisant baisser le prix des émissions, augmentant ainsi le rendement versé par le Trésor. Cette semaine, les adjudications se sont d’ailleurs déroulées dans un contexte plutôt défavorable pour le premier émetteur mondial. Depuis la terre de feu islandaise, le gouverneur de la FED a prévenu que la trajectoire fiscale américaine pouvait exercer une pression à la hausse sur le taux neutre.
Hausse du taux d’intérêt neutre causé par le déficit public soutenant l’économie résiliente et donc l’inflation face aux hausses de taux de la FED… Le serpent semble manger sa propre queue, comme souvent en période de contradiction entre politique budgétaire et monétaire. Les manuels financiers nous enseignent que dans cette configuration, il devient plus difficile d’augurer de la direction d’une devise. Depuis décembre 2022, le Dollar Index évolue dans un range latéral de 5% (dont il semble aujourd’hui tenter de s’extraire par le haut). Il en va de même pour l’euro qui navigue entre 1,05 et 1,10 dollars.
Pris dans un étau (CHIPS, IRA à l’ouest, China Reforms 2025, China standards 2035 à l’est), les dirigeants européens prennent conscience de l’adversité. Emmanuel Macron encourage ses partenaires à ne pas attendre la maturité tragique de la situation pour exercer leur option d’achat européenne : doubler le financement de la sécurité et de la défense, privilégier les filières continentales. Enrico Letta rêve d’un Nasdaq et d’un produit d’épargne de long terme paneuropéens. Christian Noyer déplore les obstacles au déploiement des capitaux vers la transition…
L’Europe rêve, écrit (elle est la seule à graver dans le marbre de son corpus législatif les objectifs de réduction carbone). Mais quand il s’agit d’agir, le processus est terriblement long. Nous n’aurons bientôt plus de leçons à donner à la Chine en matière d’émissions tant elle nous devance dans le déploiement des capacités solaires et éoliennes. Elle culmine à plusieurs centaines de gigawatts par an quand nous en installons quelques dizaines.
Pour la première fois depuis l’épidémie, les émissions de CO2 chinoises sont en baisse : -3% en mars.
Certes, la baisse de la production d’acier (le marché de la construction est un des principaux débouchés), titan des émissions carbone (3,3 milliards de tonnes par an dans le monde) n’est pas étrangère au repli. Le rebond de 20% de la production hydroélectrique a permis en outre de limiter l’appel au charbon thermique. Mais la montée en puissance du solaire dans le mix est désormais indéniable.
Dans notre organisation moins subventionnée, la hausse du coût moyen pondéré du capital de 1% augmente de 20% le coût total d’un projet éolien. De quoi barrer d’un grand coup de stylo les hypothèses de division par deux des coûts de production décarbonée d’hydrogène (40$ par million d’unités thermales britanniques aujourd’hui) … à moins d’alimenter ce secteur énergivore par le nucléaire… que l’Allemagne et l’Autriche s’entêtent toujours à condamner. Dans la quête de production décarbonée de l’élément chimique le plus commun et léger de l’univers connu, nous prenons du retard… Entre capitaux promis, capacités effectivement prévues et démarrage de chantiers constatés, rien ne permet pour l’instant de s’attendre à plus de 2 millions de tonnes en 2030, contre un objectif fixé à 10 millions.
Pendant ce temps, la compétitivité coûts des cellules photovoltaïques et des batteries chinoises est écrasante. Mariée à la Chine, pour le meilleur et pour le pire, notre industrie automobile ne pourra être aussi protégée que celle, insularisée, des Etats-Unis, qui ont doublé les droits de douane sur les importations de véhicules électriques chinois… L’équation se complexifie… comment concilier l’impératif d’accession des classes populaires aux transports électriques bon marché offerts par la Chine, sans fragiliser les débouchés domestiques de nos constructeurs, tout en trouvant le niveau de taxe qui ne déclenche pas une riposte chinoise vis-à-vis de nos exportations ? Existe-t-il un point idéal qui équilibre les composants de l’équation, à l’image du taux étoile ? Puisse cette étoile nous éclairer « afin que chacun puisse un jour retrouver la sienne », comme l’espère le personnage de Saint-Exupéry, dont on commémorera les 80 ans de la disparition cette année.