Nicolas Jacob, ODDO BHF Asset Management.
Connue essentiellement comme technologie liée aux pompes à chaleur, la géothermie dispose d’un potentiel de développement significatif d’ici 2050, en mesure de couvrir jusqu’à 15% de la demande globale d’électricité d’après l’Agence Internationale de l’Energie (AIE)[1]. Historiquement freinée par la complexité des projets et les réticences administratives, en particulier pour la géothermie profonde, cette énergie renouvelable pourrait connaître une nouvelle dynamique dans les décennies à venir portée par l’innovation.
Qu’est-ce que la géothermie ?
La géothermie désigne l’exploitation de réservoirs souterrains de vapeur et d’eau chaude, sources de chaleur naturelle. Cette chaleur peut être utilisée directement pour le chauffage ou transformée en électricité. La Terre absorbe continuellement de l’énergie solaire qui est stockée sous forme de calories dans le sous-sol, à laquelle s’ajoute l’énergie produite par le sous-sol lui-même. La température des roches augmente d’environ un degré tous les trente mètres. En fonction de la profondeur du captage, il existe deux types de géothermie :
- La géothermie de surface, également appelée géothermie de très basse énergie, désignant l’ensemble des méthodes de valorisation de l’énergie de sous-sol peu profond (200 mètres à 400 mètres de profondeur). Elle est principalement utilisée dans le bâtiment pour la production de chaleur via l’installation de pompes à chaleur géothermiques.
- La géothermie profonde, consistant à valoriser les ressources en eau profonde (400 mètres à 2000 mètres de profondeur), appelées réservoirs, ressources géothermiques profondes ou gisements géothermiques. Ici, la forte température des profondeurs est exploitée soit pour la production électrique, soit pour la production de chaleur, soit pour les deux à la fois.
La géothermie présente les avantages d’être renouvelable, continue (à la différence de l’intermittence du solaire et de l’éolien), inépuisable et locale.
Un vaste marché adressable
Représentant à peine 1% de la demande d’énergie globale en 2023, l’énergie géothermique est directement utilisée pour chauffer et refroidir les bâtiments (79% de la production) ainsi que pour la production d’électricité (21% de la production). Si elle est aujourd’hui utilisée dans plus de 40 pays, les 10 plus gros consommateurs (Chine, Etats-Unis, Turquie, Suède, Indonésie, Islande, Japon, Nouvelle-Zélande, Allemagne, Philippines) représentent près de 90% du total. D’après l’AIE, innovation technologique (notamment la capacité de forer à plus de 3 000 mètres) et baisse de coûts des projets (grâce notamment au savoir-faire et à l’intérêt croissant des entreprises pétro-gazières pour cette énergie renouvelable) pourraient permettre à la géothermie de représenter environ 15% de la demande globale d’électricité. Cette prise de conscience croissante du potentiel de la géothermie survient à un moment où la croissance de la demande mondiale d’électricité est appelée à s’accélérer en raison à la fois d’utilisations conventionnelles (production de chaleur) et d’utilisations plus récentes, telles que les véhicules électriques et les centres de données. Enfin, la disponibilité de l’énergie géothermique est particulièrement utile pour renforcer la sécurité électrique dans les régions qui cherchent à abandonner les centrales au charbon, comme la Chine et l’Inde, ou pour compléter un mix de sources renouvelables aux côtés des énergies solaire et éolienne dans des régions comme l’Europe et les États-Unis.
Contraintes et opportunités futures
Le principal frein à un développement plus rapide de la géothermie réside dans les délais liés aux permis, portant la mise en service d’un nouveau projet jusqu’à une décennie. Présent dans la majorité des feuilles de route climatique de nombreux pays à travers le monde, la géothermie gagnerait à bénéficier d’un régime d’autorisations dédié et distinct de l’exploitation minière. De même, des régulations plus incitatives (à l’image de ce qui existe sur le solaire et l’éolien en matière d’incitations fiscales) devraient aboutir à abaisser drastiquement le coût de production de l’énergie géothermique, variant aujourd’hui de 40 à 240 USD/MWh en fonction de la géographie et de la nature du gisement (avec une moyenne à 80 USD/MWh soit autant que l’éolien offshore et deux fois plus que le solaire et l’éolien onshore).
Côté opportunités, l’intérêt croissant des Etats et des entreprises privées (pétrole et utilities) pour les développements technologiques autour de la géothermie pourrait aboutir à des investissements cumulés de l’ordre de 1 000 milliards de dollars d’ici 2035 et 2 500 milliards de dollars d’ici 2050 selon les projections de l’AIE. En effet, si la majorité des capacités géothermiques concernent aujourd’hui la géothermie de surface ou quelques gros projets en profondeur dans des géographies bien spécifiques, le développement récent de la technologie en boucle fermée (CLGS pour « Closed-loop geothermal systems »), sorte d’échangeurs de chaleur souterrains dans lesquels un fluide circule et est chauffé par les roches chaudes environnantes à des profondeurs supérieures à 2 000 mètres, devrait permettre de s’affranchir des risques sismiques (liés à la fracturation des roches dans la technologie classique EGS pour « Enhanced geothermal systems ») et d’envisager des projets sans contrainte géographique particulière.
[1] The Future of Geothermal Energy, IEA, December 2024