Pierre Pincemaille, Secrétaire général de la Gestion DNCA Investments.
ATH*! cet acronyme était lors des derniers trimestres l’apanage du fabriquant de puce Nvidia. Mais l’arrivée de la petite baleine bleue chinoise DeepSeek a rebattu les cartes et c’est désormais au métal jaune de reprendre le flambeau, avec une performance de 11% cette année.
Les lecteurs les plus expérimentés savent que le cours de l’or réagit historiquement à trois paramètres clés : l’appétit pour le risque, les taux réels et le dollar. Mais il n’aura pas échappé à ces mêmes lecteurs que la tendance récente s’est décorrélée de ces variables, les cours se rapprochant inexorablement de la barre symbolique des 3.000 USD l’once. Dans ce contexte, il semble nécessaire d’appréhender les nouveaux facteurs à l’œuvre, pour mieux prévoir l’évolution à venir des prix du lingot et autres pièces.
Le premier élément récent est d’ordre institutionnel. La mise en place de sanctions américaines sur 300 milliards de réserves russes détenues à l’étranger a provoqué un réflexe archéopathe de la part des banques centrales à travers le monde. En effet, comme nous le rappelle Michelle de Mourgues dans son ouvrage académique de référence** : « à l’origine les billets étaient d’abord les contreparties de l’or déposé à la banque d’émission ».
Mais dans le cas présent, face au constat d’une administration américaine plus radicale, les banques centrales achètent de l’or pour « dédollariser » leurs réserves. Résultat, la demande annuelle en provenance des banques centrales a été multipliée par 5 depuis le début du conflit (vs. 2006-2022). Elles ont acheté un peu plus de 1.000 tonnes d’or l’an dernier (sur un total de 4.974 tonnes) avec en tête la Pologne, la Turquie, l’Inde et la Chine, selon le dernier rapport du World Gold Council. Sachant que les stocks chinois et indiens ne représentent pas encore 10% de leurs réserves totales, contrairement aux Etats-Unis ou à la France dont les réserves d’or représentent plus de 70%, ce flux acheteur ne devrait pas se tarir à court terme.
Les autres investisseurs semblent eux aussi vouloir diversifier leurs avoirs pour se couvrir de phénomènes pour lesquels la perception des risques associés s’est accrue récemment : la soutenabilité de la dette américaine et la triple bulle chinoise (crédit, immobilier et surinvestissement).
Nous avons déjà abordé dans le passé le sujet du déficit américain et l’impact désastreux qu’aurait l’implémentation complète du programme du nouveau président. Avec un budget fédéral équivalent au PIB de la troisième économie mondiale (7 trillions de dollars) et un déficit sur les quatre premiers mois de l’année fiscale qui a augmenté de 25% à 840 milliards de dollars, il en faudra plus que les annonces concernant l’USAID pour remettre le ratio déficit/PIB sur une trajectoire descendante. L’aggravation de ce dernier peut déboucher sur deux tail risks favorables au métal ductile : un downgrade de la part des agences de crédit (comme en 2023 par Fitch) ou la mise en place d’une « répression fiscale » pour maintenir les taux longs réels sous le taux de croissance du PIB.
Quant à la triple bulle chinoise, celle-ci est aggravée par le relèvement des droits de douane imposé par l’administration américaine. Une plus grande difficulté à exporter ses capacités excédentaires pourrait inciter les autorités locales à augmenter agressivement leur offre de monnaie, dans le but de stimuler une consommation interne dont la contribution au PIB reste faible (39% contre 64% en moyenne pour le Mexique, le Brésil et l’Inde).
Ce scénario serait largement favorable à l’or. D’ailleurs, le lancement récent d’un programme pilote d’investissement dans cette classe d’actif par certaines compagnies d’assurances chinoises, dans le cadre de leur stratégie sur le long terme est instructif. Certains y verront plus qu’une coïncidence et les analystes de Bank of America estiment que cette initiative peut créer 300 tonnes de demande additionnelle, équivalent à 6% de la demande annuelle.
Le nombre inhabituellement élevé de scenarios économiques et géopolitiques potentiels en 2025 renforce le rôle diversifiant des métaux au sein des portefeuilles. Le sentiment vis-à-vis de l’or serait spécifiquement accentué si la spécificité des Etats-Unis passait d’un statut d’exceptionnalisme à expansionnisme. Dans un tel scénario, le comportement de l’or serait inévitablement du type higher high & higher low, sachant que son cours est loin de ses plus hauts… en termes réels.
*ATH : All Time High
**La monnaie, système financier et théorie monétaire