Candice Boclé, Directrice Investissement Responsable, Mandarine Gestion.
Entre appels au « bon sens » (argument fréquemment utilisé par Donald Trump pour clore les débats) et alertes lancées par les pro-CSRD, le projet de loi Omnibus, visant notamment à simplifier un ensemble de réglementations environnementales et sociétales qui pèsent sur les entreprises, implique déjà son lot de gagnants et de perdants potentiels.
Les dessous d’un changement de posture
Ce paquet législatif englobe plusieurs réglementations, dont la CSRD [1], la taxonomie européenne, la directive sur le devoir de vigilance (CS3D [2]) et le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM).
Une fois n’est pas coutume, le sujet réglementaire déchaîne les passions. Entre lobbies industriels, ONG, Etats membres et groupes politiques au Parlement, l’omnibus ne rime pas avec terminus, et encore moins avec consensus.
Dans un contexte où la compétitivité européenne est ébranlée par les Etats-Unis et la Chine, l’empilement de normes jugées trop complexes et coûteuses pour les PME a été pointé du doigt dès septembre 2025 dans le rapport de Mario Draghi. Mettant en avant le décrochage économique du Vieux Continent vis-à-vis des Etats-Unis et de la Chine, ce rapport est devenu structurant pour le continent suite à l’élection de Donald Trump, qui a promis une vague de déréglementation.
La directive Omnibus inclut également des modifications visant à optimiser l’utilisation de programmes d’investissement européens comme InvestEU. Ces modifications permettront de mobiliser 50 milliards d’euros supplémentaires d’investissements publics et privés. L’objectif est de soutenir des politiques prioritaires telles que la compétitivité, la transition énergétique et la durabilité environnementale. En simplifiant les exigences administratives et en augmentant la capacité d’investissement, l’Union européenne (UE) espère stimuler l’innovation sans renoncer à la durabilité.
À qui profite le doute ?
Il semble évident que les opposants au changement climatique ainsi que les entreprises tardant à se conformer à la CSRD profitent d’un sursis et pourraient même être rassurés à l’idée que l’obligation de reporting soit supprimée. Selon le commissaire européen à l’Economie et à la Simplification, « la réglementation est considérée par plus de 60 % des entreprises de l’UE comme un obstacle à l’investissement et 55 % des PME signalent les fardeaux réglementaires et administratifs comme leur plus grand défi. »[3] Depuis le 26 février, une révision de grande ampleur est annoncée et pourrait faire sortir près de 80% des entreprises initialement concernées par la CSRD.
Après avoir été qualifiée de « délire bureaucratique »[4], ou « d’enfer pour les entreprises »[5], l’Omnibus est perçu comme une bouffée d’oxygène selon certaines PME, dont le management rechignait à absorber encore de nouveaux acronymes du type ESRS [6] ou IRO [7], que même la communauté des investisseurs responsables avait du mal à appréhender.
Les coûts associés à la mise sur rails du reporting CSRD et les amendes possibles liées à la prise en compte du devoir de vigilance sur la chaîne de valeur ont été largement mis en avant. Ursula von der Leyen a promis des propositions permettant aux entreprises d’économiser plus de 37 milliards par an d’ici cinq ans, pour préserver leur compétitivité.
Les potentiels perdants de ce projet
En réduisant son avance du point de vue de la réglementation, l’Europe semble se concentrer davantage sur l’adaptation au changement climatique et moins sur la lutte contre celui-ci. Ce mouvement permet à la Chine de conforter son rôle de berceau industriel de la transition énergétique : voitures électriques, énergie éolienne, panneaux solaires : production, installation et innovations suivent à un rythme effréné et les idées d’investissement ne manquent pas.
Ensuite, les entreprises européennes les plus vertueuses, qui avaient engagé une démarche RSE ambitieuse et des budgets significatifs pour reporter en accord avec la CSRD se retrouvent dans une incertitude réglementaire. Libre à elles de capitaliser sur ces nouvelles ressources pour initier ou conforter des démarches RSE innovantes et ainsi se démarquer de pratiques traditionnelles pour attirer davantage capitaux.
Du point de vue des ONG, la CSRD représentait un levier clé de compétitivité et de résilience des entreprises face à la crise climatique et sociale. Ce projet omnibus fait redouter à certaines [8] un repli des ambitions climatiques, ainsi qu’une dilution des obligations des entreprises, notamment au niveau de l’attention portée à leur chaîne d’approvisionnement.
Quant aux investisseurs, ils attendaient la CSRD de pied ferme pour disposer de données nécessaires à leur propre reporting de durabilité, encadré par SFDR, ainsi que pour alimenter leurs décisions d’investissement. La perspective d’avoir progressivement accès à une donnée extra-financière fiable et homogène (pour les entreprises implantées sur le sol européen dans un premier temps) faisait espérer une réduction de la dépendance envers les fournisseurs de données externes. Il reste néanmoins aux investisseurs la capacité d’actionner le levier de l’engagement actionnarial pour capitaliser sur d’autres collectes d’information plus qualitatives.
Pour conclure, les débats sur l’omnibus risquent de continuer à faire rage, tout comme ceux sur l’avenir du Green Deal européen en général. Si la volonté de simplification semble louable, l’attention sera portée sur l’efficacité des politiques face à l’urgence climatique. Si les investisseurs se retrouvent avec moins de données ESG qu’attendues, la collecte d’information extra-financière devra se trouver autrement. Chez Mandarine Gestion, nous pensons que les analyses qualitatives d’entreprises, la proximité avec les dirigeants et l’engagement actionnarial ont toute leur place pour pallier ce déficit d’information. La proactivité des gestionnaires d’actifs à mener des analyses extra- financières de qualité sera sans doute créatrice de valeur face à la gestion passive dans ce marasme règlementaire.
[1] CSRD : Corporate Sustainability Reporting Directive, nom choisi pour désigner la directive européenne sur la publication d’informations en matière de durabilité. Elle vient remplacer la NFRD et s’applique à un nombre plus important d’entreprises que cette dernière.
[2] CS3D : Corporate Sustainability Due Diligence Directive, proposition de directive de la Commission européenne visant à créer un cadre transparent exigeant des grandes entreprises qu’elles fassent preuve de diligence raisonnable dans leurs propres activités et celles de leurs fournisseurs.
[3] « Simplification administrative : le plan de l’UE est-il à la hauteur des besoins de ses entreprises ? », www.journaldeleconomie.fr, le 14 février 2025.
[4] « La directive CSRD, « délire bureaucratique » pour le directeur général de BNP Paribas », www.challenges.fr, le 24/11/2024.
[5] « Directive verte européenne : la CSRD est « Un enfer » pour les entreprises, dénoncent le gouvernement et le patronat », www.boursorama.com, le 22/01/2025.
[6] ESRS : European Sustainability Reporting Standards. L’ESRS est un ensemble de normes et d’indicateurs définis à l’échelle européenne (via la Commission européenne) qui ont pour objectif de cadrer l’impact et le reporting des entreprises sur le sujet du développement durable
[7] Les impacts, risques et opportunités, appelés IRO, sont au cœur de la construction du rapport de durabilité pour les entreprises.
[8] Non à l’Omnibus ! Plus de 160 organisations s’opposent à une remise en question de la directive sur le devoir de vigilance, www.asso-sherpa.org, le 14/01/2025.