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Entretien avec Maxence Radjabi, gérant de portefeuille actions thématiques chez ODDO BHF AM qui cogère, la stratégie Intelligence Artificielle avec Brice Prunas.

D’où vient le concept d’intelligence artificielle ?

Maxence Radjabi: « Il existe en fait depuis les années 50 avec la machine de Turing, et il est le fruit des recherches constantes des scientifiques pour trouver des algorithmes susceptibles de répliquer le raisonnement humain. La plupart des solutions théoriques existaient déjà depuis plusieurs décennies. Les restrictions à leur utilisation pratique ont été progressivement levées depuis 25 ans, avec l’arrivée de l’ordinateur, d’internet, des smartphones et récemment des objets connectés et avec l’augmentation de la capacité de calcul qui est venue du secteur des semi-conducteurs, plus spécifiquement des solutions de calcul parallélisé développées par NVidia ».

Comment expliquer l’accélération des ces cinq dernières années ?

M.R.: « Pendant longtemps, la communauté scientifique partait du principe qu’il fallait avoir un modèle assez étroit et complexe pour faire de l’IA, alimenté par des données de grande qualité. En 2017, Google a toutefois bouleversé cette approche en publiant une étude appelée Attention is all you need, qui a constaté que l’on obtenait des résultats étonnamment bons en développant un modèle techniquement plus simple mais entrainé sur une énorme quantité de données avec une capacité de calcul gigantesque. Cette étude a permis l’émergence des Large Language Models (LLM) comme ceux développés par OpenAI avec ChatGPT. Nous avons lancé en 2018 une stratégie AI en partant de l’idée que c’était une révolution silencieuse qui allait affecter tous les secteurs de l’économie, avec des gagnants et des perdants ».

A l’époque, l’intelligence artificielle était toutefois encore un concept relativement méconnu…

M.R.: « C’était surtout un outil utilisé par des scientifiques, mais l’arrivée de ChatGPT en 2023 a permis à tout le monde de pouvoir interagir directement avec un algorithme. A partir de ce moment là, la machine s’est emballée, avec des investissements massifs et des premières applications qui commencent à faire leur apparition. Les outils d’IA vont nous permettre d’utiliser la masse de données créée durant les 25 dernières années, et dont nous n’utilisons encore qu’une infime fraction (moins de 1%) ».

Où se trouvent les sociétés qui vont bénéficier de cette révolution liée aux IA Génératives ?

M.R.: « A l’image de ce qui se passe dans toutes les révolutions technologiques, ce sont dans un premier temps les fournisseurs de pelles et de pioches qui vont être les premiers bénéficiaires, et donc les fabricants de semi-conducteurs qui permettent de faire tourner les modèles, les fournisseurs de données qui permettent de les alimenter, et l’infrastructure cloud (Microsoft Azure, Amazon AWS, Google GCP) pour héberger les modèles et les mettre à disposition des utilisateurs. Ces opportunités se trouvent essentiellement dans la partie professionnelle, avec par exemple Copilot développé par Microsoft, un assistant qui vise à augmenter la productivité des travailleurs en automatisant des tâches répétitives comme par exemple la gestion des emails, la rédaction de certains textes/présentations ou la préparation d’un message sur les réseaux sociaux ».

Les entreprises ont commencé à investir massivement dans ces solutions ?

M.R.: « Copilot a déjà été adopté par de nombreux groupes (Siemens, Michelin, Goodyear, etc) qui n’appartiennent pas aux secteurs technologiques de pointe, car ils craignent de se faire distancer par la concurrence. Parallèlement à cela, il y aura des besoins importants dans le domaine de la cybersécurité, pour contrer des attaques utilisant des algorithmes, d’autant que 2023 a été une année record en termes de piratage informatique ».

En dehors de la technologie, quels sont les secteurs qui vont bénéficier de cette révolution ?

M.R.: « Selon nous, ce seront ceux qui génèrent beaucoup de données, et qui ne les exploitent pas encore de manière efficace. Je pense en particulier au secteur financier ou aux soins de santé. Le recours aux IA permettra de réduire de 99% le coût du séquencement du génome, et de baisser le coût de développement des nouveaux traitements en sélectionnant mieux les molécules, qui échouent malheureusement trop souvent lors des essaies cliniques. Par la suite, l’automatisation du secteur des transports, de la logistique ou de la production industrielle devrait également recourir aux algorithmes. Tout ne va toutefois pas se produire en même temps ».

Comment voyez-vous les opportunités évoluer durant les prochaines années ?

M.R.: « Après les producteurs de pelles et de pioches, qui ont déjà bien bénéficié de l’engouement sur l’IA Générative en 2023, les groupes qui vont développer des logiciels vont prendre le relais en 2024. Et seulement ensuite, ce seront les sociétés utilisatrices de ces logiciels qui vont être impactées, à des vitesses différentes selon les secteurs. La croissance séculaire de cette thématique sur le long terme est très importante, mais il ne faut pas non plus être trop impatient. Elle va surtout permettre à un ensemble de secteurs d’augmenter leurs perspectives de croissance bénéficiaires de quelques pourcents sur le long terme. Un produit comme Copilot arrive aujourd’hui avec un prix de 30 dollars par utilisateur et par mois, contre environ 10 dollars auparavant pour une licence standard chez Microsoft ».

Le secteur est-il aujourd’hui trop cher pour être encore acheté ?

M.R.: « Pas selon nous, même s’il reste crucial d’identifier les vraies opportunités de revenus ou de productivité dans les sociétés au milieu de cet engouement généralisé pour la thématique IA. Tout d’abord, l’année 2022 avait été très négative pour le secteur technologique, et donc le point de départ des valorisations au début 2023 était très bas. Il y a en outre des différences très importantes entre l’IA dominée par de grandes sociétés établies, très rentables, capables de réaliser ces investissements et la bulle internet de l’année 2000 qui voyait au contraire un marché florissant d’introductions en bourse de sociétés qui n’avaient souvent pas de bénéfices et parfois même pas de revenus ». Enfin, en l’espace de neuf mois, la valorisation de NVidia a fortement reculé (rapport cours / bénéfice de 26 à la fin 2023 contre 40 au début 2023), notamment parce que le chiffre d’affaires trimestriel est passé de 7 à 20 milliards de dollars. Bien entendu, toutes les sociétés ne vont pas croître à ce rythme là, mais les opportunités resteront significatives ».

Aucune des sociétés mentionnées ci-dessus ne constituent des recommandations d’investissement.

Frédéric Lejoint

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