Prof. Dr. Jan Viebig Global Co directeur des investissements, ODDO BHF AM.
« Nous pensons que lorsqu’un investissement en actions est abordé de manière planifiée et à long terme, dans le respect de certaines règles d’or et en tenant compte de la tolérance au risque de chacun, il devient un puissant outil de construction patrimoniale. »
Trois économistes britanniques, Paul Marsh et Mike Staunton de la London Business School ainsi qu’Elroy Dimson de l’Université de Cambridge, ont entrepris une méticuleuse aventure : ils ont retracé 35 marchés actions partout dans le monde en remontant aussi loin que possible dans le temps, afin de répondre à une question théorique fondamentale en matière d’investissement : les actions sont-elles véritablement supérieures à toutes les autres classes d’actifs sur le long terme ? En partant de l’année 1900, ils ont passé au crible 23 marchés boursiers, y compris les principaux marchés actuels : les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande, ainsi que les bourses d’Europe du Nord et d’Europe de l’Ouest. Les résultats de cette étude à long terme constituent un exemple d’économie appliquée, fournissant aux investisseurs une importante ligne directrice.
Pour notre part, nous tirons de cette étude ainsi que de notre propre expérience quatre conclusions principales.
1) L’affirmation selon laquelle les actions sont une composante essentielle de toute stratégie d’investissement à long terme est fortement étayée par des preuves empiriques. Les trois économistes ont montré que, depuis 1900, les actions américaines ont progressé en moyenne arithmétique de plus de 8 % par an en termes réels (ajustés de l’inflation). Warren Buffett a dit sagement : « Ma richesse est le fruit d’une combinaison entre le fait de vivre aux États-Unis, des gènes chanceux et les intérêts composés ».
Si nous n’avons que peu de prise sur notre patrimoine génétique ou notre longévité – des facteurs mieux évalués par d’autres – en ce qui concerne les actions, une chose est sûre : ceux qui commencent à investir en actions tôt et à long terme bénéficient plus longtemps de l’effet des intérêts composés, qu’Einstein aurait un jour décrit comme la « huitième merveille du monde ». Buffett lui-même a commencé à investir en bourse en 1942, à l’âge de onze ans. La deuxième raison d’investir dans les actions à long terme nous amène à évoquer la notion de risque : le risque de perte lié aux investissements en actions est considérablement réduit si l’investisseur engage son capital sur une longue période plutôt que lorsqu’il spécule à court terme.
Bien que l’histoire ne se répète pas toujours, le constat suivant s’applique au passé : toute personne ayant investi dans l’indice MSCI World à la fin d’un mois entre 1970 et 2023 et ayant conservé cet investissement pendant plus d’un an n’a subi une perte que dans 26 % de toutes les périodes possibles d’un an. Sur une période d’investissement de cinq ans, la perte ne s’est produite que dans 16 % de toutes les périodes possibles de cinq ans. Et sur dix ans, la probabilité de perte n’est plus que de 4 %. Entre 1970 et 2023, les investisseurs n’ont jamais perdu d’argent, hors inflation, s’ils ont investi dans le MSCI World à la fin d’un mois donné et s’ils l’ont conservé pendant 15 ans.
Même si les performances passées ne sont pas un indicateur fiable des résultats futurs, les données montrent que plus l’horizon d’investissement est long, plus le risque de perdre de l’argent est faible avec un portefeuille d’actions largement diversifié. C’est pour ces raisons – l’effet des intérêts composés et la réduction du risque de perte dans le temps – que nous conseillons à nos investisseurs d’investir en actions sur le long terme.
2) En 1900, l’Allemagne pesait 12,6 % du marché mondial des actions ; aujourd’hui, elle n’en représente plus que 2,1 %. Ce déclin n’est pas uniquement dû aux difficultés à long terme du développement économique de l’Allemagne – les guerres et les politiques économiques malavisées ont bel et bien laissé leurs traces – ou à l’émergence de nombreux nouveaux marchés boursiers, ce qui est également vrai. La principale raison de ce changement est la croissance et l’importance remarquables du marché boursier américain.
À juste titre, Warren Buffett fait remarquer que le succès de ses investissements ne repose pas seulement sur la nature long terme de sa stratégie. Il s’estime chanceux d’avoir grandi aux États-Unis, un pays où le marché des capitaux est particulièrement dynamique depuis de nombreuses années. En 1900, les États-Unis représentaient 14,5 % des actions mondiales ; aujourd’hui, ce pourcentage est de 60,5 %. Le marché boursier suisse, qui était loin derrière en deuxième position en 1900, dépasse aujourd’hui l’Allemagne avec une part mondiale de 2,4 %. Une erreur fréquente chez les investisseurs, en particulier en Allemagne et en France, est de se concentrer presqu’exclusivement sur les marchés nationaux. Nous recommandons aux investisseurs de rechercher une diversification globale et de ne pas négliger le marché américain. En effet, malgré des valorisations qui peuvent sembler élevées, les entreprises américaines offrent en moyenne des rendements élevés.
3) On entend souvent dire que ce n’est pas le bon moment pour investir en actions, avec des affirmations fatalistes telles que « le marché a atteint un niveau record » ou « investir en actions est aujourd’hui beaucoup trop risqué ». Nous pensons que cette attitude n’est pas la bonne.
Selon les calculs du courtier américain Charles Schwab, atteindre un niveau record sur les marchés n’est pas un événement exceptionnel : entre 1928 et 2021, l’indice américain S&P 500 a clôturé à un niveau record en moyenne 14 jours de bourse par an. Être sélectif est plus important que de s’attarder sur des aspects temporels à court terme. Nous investissons donc dans des actions qui génèrent de la valeur à long terme pour leurs actionnaires. C’est toujours le cas lorsque le rendement du capital dépasse le coût du capital et que les revenus augmentent.
4) Il suffit de quelques jours favorables pour faire la différence entre un portefeuille médiocre et un portefeuille exceptionnel. Un investisseur dans l’indice actions mondial MSCI World Net Total Return, dividendes inclus entre mi-avril 2004 et mi-avril 2024, a pu réaliser une plus-value annuelle moyenne de 7,9 % s’il est resté pleinement investi pendant toute la période de 20 ans (voir le graphique). Cependant, le fait de manquer les dix meilleurs jours de bourse au cours de cette période réduirait le rendement annuel à 6,8 %. Le fait de manquer les 40 meilleurs jours sur ces 5220 jours de bourse réduirait le rendement annuel de moitié, soit à 3,5 %.
Le message principal pour les investisseurs est de s’engager sur le long terme et de résister à la volatilité du marché pour capitaliser sur les jours de gains significatifs. Ce message reste valable même pendant les inévitables phases de faiblesse des marchés, lorsqu’il est psychologiquement difficile de rester investi. Pour ce faire, les investisseurs doivent avoir la capacité financière de résister à des baisses prolongées sans être contraints de liquider leurs positions à des moments inopportuns, ce qui risquerait de cristalliser les pertes intermédiaires.
Les actions ont trop souvent la réputation d’être spéculatives auprès des investisseurs français et allemands. Toutefois, nous pensons que lorsqu’un investissement en actions est abordé de manière planifiée et à long terme, dans le respect de certaines règles d’or et en tenant compte de la tolérance au risque de chacun, il devient un puissant outil de construction patrimoniale. Gardons en tête cependant que les performances passées ne présagent pas des résultats futurs. Cet avertissement s’avère encore plus pertinent aujourd’hui, alors que les marchés affichent une volatilité accrue sur fond de tensions géopolitiques exacerbées.