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Pierre Pincemaille, Secrétaire général de la Gestion DNCA Investments.

Si l’on en croit l’adage, tout ce qui est rare est cher. La sagesse populaire s’est révélée on ne peut plus vraie en 2024, avec un écart de performance de 61% entre Hermès (+21%) qui a continué à délivrer des performances opérationnelles impressionnantes et Kering (-40%) pénalisée par les déboires de sa marque phare qu’est Gucci. Résultat, un écart de valorisation de quasiment 30 points de PER 2026 (!) entre les deux poids lourds du luxe français (44x vs. 15,5x).

Après une année 2024 en demi-teinte pour le secteur (-2,5% de performance), le débat est désormais de savoir si les résultats opérationnels du T4 supérieurs aux attentes sont une simple normalisation après le ralentissement des trois trimestres précédents ou le début d’un nouveau cycle aligné sur l’année chinoise du Serpent de bois.

En attendant les prochaines présentations trimestrielles, les chiffres publiés par la société Global Blue* sont probablement le meilleur proxy du secteur : les ventes mondiales de produits touristiques hors taxes en janvier et février sont en ligne avec la tendance du T4. Fait notable, le consommateur chinois domestique ne sous-performe plus les autres.

Au-delà de cette tendance par nature de court-terme, la big picture des clientèles américaine et chinoise est pour le moins incertaine. Sans surprise, l’industrie du luxe a focalisé son attention lors des deux dernières années sur les États-Unis, premier marché mondial de près de 100 milliards d’euros selon Bain& Co. L’objectif affiché par les groupes était de surfer sur l’effet richesse des ménages (+10% en 2023 et 2024), en ouvrant des « Maisons » dans de nouvelles villes : Detroit, Saint Louis, Nashville ou encore Austin.

Problème, en raison du recul de la bourse locale, Bank of America anticipe une destruction de valeur de 3 000 milliards de dollars pour les ménages américains au T1 2025. Ce à quoi il faut ajouter le recul des indices de confiance (Conference Board et Université du Michigan) sous l’effet des annonces quasi-quotidiennes du duo Trump – Musk concernant les barrières douanières et les coupes budgétaires gouvernementales. Pas vraiment de quoi inciter les foules à se ruer dans les malls, c’est d’ailleurs le message véhiculé par la société allemande Hugo Boss qui parle d’une baisse de 20% du trafic en ce début d’année…

Quant au consommateur chinois, sa situation est inverse. Cette clientèle qui avait été peu impactée par le ralentissement économique local a finalement capitulé en 2024 sous l’effet d’une crise immobilière profonde. Mais à la suite de l’annonce de l’objectif de 5% de croissance pour cette année, le gouvernement a publié un plan visant à positionner la consommation comme « moteur principal de la croissance économique », pour compenser la dégradation à venir des exportations. En toute logique, les acteurs de la consommation discrétionnaire, luxe en tête, devraient bénéficier de ces initiatives grâce à l’amélioration de la confiance du consommateur et de leur revenu disponible.

En attendant une possible embellie, les hausses de prix imposées par les acteurs lors des années post Covid ont conduit à l’apparition très médiatisée des « Pingti » en Chine, ces répliques de haute qualité à prix abordables. Mais au-delà de cet épiphénomène, la greedflation du secteur a fait émerger une nouvelle tendance globale : le segment de la joaillerie a été dynamique en 2024 alors que les sacs à main (hit bags) ont perdu du terrain. Rien d’étonnant si l’on en croit l’étude d’UBS : alors qu’en 2018 le sac « Flapbag » de Chanel était à parité de prix avec le bracelet « Love » de Cartier, le premier se retrouve aujourd’hui 60% plus cher !

Cette situation incite les acteurs à la modération : Hermès parle de hausses de prix de « seulement » 6 à 7% en 2025 alors qu’Yves Saint Laurent (propriété de Kering) a baissé le tarif de son sac Loulou, fait rarissime dans cette industrie basée sur l’image.

Une croissance chinoise en forme de point d’interrogation, une potentielle révision à la baisse des dépenses américaines et les mesures douanières de l’administration Trump alimenteront mécaniquement la volatilité du secteur dont la valorisation en PER est proche de la borne basse de son historique (20/25x sur la période 2016-2024, hors Covid).

Mais au-delà de ces mouvements, l’interrogation fondamentale concerne l’engagement des clients vis-à-vis de la consommation ostentatoire. Comme l’écrit l’historien Pierre-Yves Donzé** dans son dernier ouvrage consacré à la plus connue des marques horlogères : « Elle [l’étude] démontre comment Rolex est passé d’une marque de montres mécaniques suisse à l’expression de la réussite individuelle ». Si ce constat s’avère extrapolable au reste du secteur et soutenable dans le temps, celui-ci aura toujours les faveurs des consommateurs… et des investisseurs.

*Société de service de détaxe ;

**La fabrique de l’excellence-Histoire de Rolex.

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