En ce début d’année, l’attrait des investisseurs pour les pays émergents se confirme. Depuis mi-2023, les flux de capitaux dans les pays émergents, hors Chine, ne cessent de croître. C’est inhabituel. Historiquement, un mouvement inverse se produit lorsque la Réserve Fédérale américaine augmente ses taux. Ce fut le cas en 2013, par exemple. En l’espace de onze ans, les pays émergents sont plus solides économiquement, moins dépendants des conditions de financement en dollar et sont donc plus à même de faire face aux chocs extérieurs. Parmi ces pays, l’Indonésie se démarque en raison de son succès économique des dernières années.
Lorsque l’économiste Jim O’Neill invente l’acronyme BRICS en 2001, il n’a pas voulu intégrer l’Indonésie. Aujourd’hui, le pays est un géant économique du fait de sa forte croissance, de son poids démographique, et de sa situation géographique centrale pour le commerce international entre l’Asie et l’Europe. De 2014 à 2023, la croissance moyenne du pays a été de 4,2% par an. Si on exclut l’année 2020 marquée par une contraction du PIB à cause de la pandémie, la croissance moyenne est même de 4,9% sur un an. Sur la longue durée, la croissance du PIB s’écarte peu de 5%. En outre, elle est remarquablement stable.
Les grandes réalisations des Jokonomics
Comment l’expliquer ? C’est l’effet des Jokonomics, du nom du président sortant, Jokowi, qui se retire après dix ans de pouvoir. Le 14 février, les Indonésiens sont appelés aux urnes pour choisir son successeur. Le principal candidat, Prabowo, qui a perdu à deux reprises face à Jokowi, est le favori des sondages. Il y a des divergences entre les deux hommes. Mais tout porte à croire qu’il y aura une continuité sur le plan économique. C’est une bonne nouvelle.
Le principal succès des Jokonomics porte sur le plan budgétaire. La dette du pays est montée en investment grade en 2017. Cela garantit de meilleures conditions d’emprunt et renforce l’attractivité du pays. Les dépenses ont été contenues depuis 2014, notamment grâce à la fin de la coûteuse politique de subvention à l’énergie. Et avec le boom des matières premières, la situation budgétaire du pays s’est nettement améliorée, comparé à d’autres pays de la région qui n’ont pas autant de richesse dans leur sous-sol. Grâce à cela, l’Indonésie a le stock de dette le plus bas d’Asie.
Le deuxième succès des Jokonomics concerne les dépenses d’infrastructure. Jokowi a osé engager des montants importants et construire vite, parfois trop vite. Cela a entraîné des gaspillages. Mais les résultats sont là : en témoignent le métro de Jakarta et la nouvelle autoroute liant la capitale à Bandung, à trois heures de route au sud, qui a été inaugurée en octobre dernier. Comment a-t-il réussi à investir autant tout en réduisant la voilure sur les dépenses ? Ce sont les entreprises publiques qui se sont endettées. Y aura-t-il un problème de remboursement ? Probablement pas si les gains de productivité sont au rendez-vous.
Les industries de base encore trop présentes
Enfin, tout en réduisant les exportations de matières premières, il a réussi à développer une industrie métallurgique locale. Les IDE affluent, particulièrement en provenance de Chine, et en direction du secteur du nickel (50% de la production mondiale). Mais il y a deux bémols. Premièrement, l’exploitation minière ne nécessite utilise peu de main d’œuvre. Elle emploie actuellement seulement 1% de la population active. Pour ne rien arranger, les grandes usines chinoises qui se sont implantées sur place font venir leur propre main d’œuvre. Deuxièmement, les flux de capitaux sont accaparés par le secteur minier et des métaux au détriment de l’industrie manufacturière. L’emploi manufacturier n’a quasiment pas augmenté depuis 2014. Ce sont certainement les deux principales limites des Jokonomics.
Réduire la dépendance aux capitaux chinois et faire que les investissements dans le secteur minier profitent au reste de l’économie, voilà les deux principaux défis du prochain président. On peut mettre au crédit des Jokonomics le fait que l’Indonésie soit désormais dans le radar des investisseurs. Mais il faudra faire beaucoup plus pour échapper au statut de pays à revenu intermédiaire.