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Thomas Planell, Gérant – analyste DNCA Investments.

Les gérants de portefeuille ne sont pas rémunérés pour dormir d’un sommeil paisible mais pour sélectionner des primes rémunérant de façon attractive leur budget de volatilité.

Fatalement, les opportunités se présentent au moment où les nerfs sont mis à rude épreuve. Lorsque la panique tord le cou aux hypothèses de risque qui prévalaient la veille. Quand l’épouvante pulvérise les prix des actifs en deçà de leur valeur fondamentale la plus prudente. L’exagération des esprits animaux des investisseurs, pour reprendre la formule de Keynes, est le dividende de la peur que cherche à percevoir l’investisseur « contrarian ». Pourvu que son modèle de valorisation finisse par se vérifier dans le temps. Et à condition de ne pas avoir raison trop tôt…

Néanmoins, aussi extrême soit elle, l’intempérance des marchés à l’égard du secteur financier n’est pas dénuée de sens logique. Parce que, plus que dans l’industrie ou les services, la distribution statistique des événements opérationnels est leptokurtique. La fréquence et l’intensité des pertes extrêmes sont plus élevées qu’ailleurs. Le capital bancaire ou assurantiel forme ainsi une substance naturellement volatile.

Difficile donc de dire si les rendements actuariels (entre 8% et 20% selon les émetteurs !) des obligations AT1 offrent une juste compensation de la peur des créanciers. Après tout, ils sont les premiers, après les actionnaires, à absorber les pertes en capital bancaire en cas d’insolvabilité.

Si certains investisseurs reviennent sur la classe d’actifs, y voyant même une opportunité historique, il ne faut pas sous-estimer l’effet auto réalisateur que peut avoir la panique sur un marché étroit, délicat à quantifier en l’absence d’indice exhaustif.

Sur la base des fonds suivis par JP Morgan, la banque américaine évalue les encours de dette hybride ou subordonnée financière en Europe et au Royaume-Uni à une quarantaine de milliards d’euros.

En 2018 (crise politique italienne), 2020 et 2022, ils ont subi des retraits portant jusqu’à 13% de leurs encours… Les événements récents pourraient fragiliser le gisement. La dégradation de la liquidité est un cercle vicieux. Il peut être alors très dangereux d’avoir raison trop tôt… Avoir raison trop tôt, c’est également le jeu des réformes politiques structurelles. S’il ne fait nul doute que le système de retraite doit être adapté au vieillissement structurel de la population, on voit combien il est délicat de pousser une réforme majeure à laquelle la population semble encore mal préparée.

Les tensions et mouvements sociaux inquiètent-ils les investisseurs ? Y’a-t-il peur sur les actions françaises ?

A partir de début de mars, l’écart de performance entre les sociétés domestiques et celles qui sont exposées à l’international s’est creusé : près de 10% de sous performance cumulée depuis le rebond entamé en novembre 2022. Même constat pour le CAC Mid et Small, moins tourné vers l’international vis-à-vis de son grand frère fort de ses 40 champions (16% des ventes seulement en France).

Et pourtant, pas de signe de panique d’après les marchés obligataires. Oscillant autour de 0,5%, le spread entre les Obligations à 10 ans du Trésor français et celles de la Deutsche Finanzagentur reste contenu.

A l’appui, l’Insee a d’ailleurs publié une étude démontrant que les mouvements sociaux de 1995 et 2019 avaient eu peu d’effet sur la croissance. A chaque fois, l’hôtellerie souffre la première : elle fait déjà état d’un taux d’annulation de 25%. Néanmoins, le redressement s’opère souvent dans le trimestre qui suit l’effusion de rancœurs.

La raison du repli des valeurs domestiques françaises réside peut-être dans leur valorisation élevée. Sur la base de leurs bénéfices des douze prochains mois, le MSCI France (64 composants qui couvrent 85% des sociétés cotées) cote avec une prime historique par rapport au reste du continent : 13,7x contre moins de treize fois pour le Stoxx 600 Europe.

Pas de dividende de la peur sur les actions françaises, qui depuis le premier mandat d’Emmanuel Macron, évoluent largement au-dessus de la moyenne long terme de leur valorisation relative. L’année réserve néanmoins son lot de surprises. Et face à une croissance potentiellement plus robuste que prévu en Europe se dresse le spectre d’un double choc. Monétaire et inflationniste (en cas de rebond des prix du gaz à l’hiver 2023-2024), il sera probablement celui qui mettra le plus à vif les nerfs d’investisseurs.

Il faudra alors autrement s’armer de courage pour aller chercher et mériter ce salaire de la peur !

KFI

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