Laurent Denize, Co directeur des investissements ODDO BHF AM & Prof. Dr. Jan Viebig, Co directeur des investissements ODDO BHF AM.
« Alors que les dettes souveraines pouvaient être considérées comme des « valeurs refuges » avec le soutien des banques centrales observé par le passé, elles comportent actuellement plus de risque que le Crédit. Cette inversion dans la perception du risque se manifeste par des primes sur le crédit qui restent relativement stables malgré la hausse des taux. »
Qu’est-ce qui explique la hausse des rendements?
Les rendements des obligations du Trésor ont atteint leur plus haut niveau depuis plus de 10 ans. Les coûts d’emprunt pour les obligations d’État américaines à 10 ans sont passés de 3,7 % mi-juillet à plus de 4,8 % cette semaine. En Allemagne, les rendements à 10 ans sont passés de 2,2 % à 2,9 %, et en Italie, de 4 % à 4,9 % sur la même période. Plusieurs raisons expliquent la récente augmentation des rendements : les politiques des banques centrales, la croissance économique et la vigueur des marchés de l’emploi, les anticipations d’inflation et les primes de terme.
1. Politiques des banques centrales.
Le 20 septembre 2023, la Fed n’a pas relevé ses taux, mais a clairement indiqué que les taux resteraient probablement plus élevés pour plus longtemps (« higher for longer ») : « … La question la plus importante à ce stade n’est pas de savoir si une augmentation supplémentaire des taux est nécessaire cette année ou non, mais plutôt combien de temps nous devrons maintenir les taux à un niveau suffisamment restrictif pour atteindre nos objectifs… » (Michael Barr, vice-président de la Fed chargé de la supervision). Christine Lagarde a également affirmé que les taux d’intérêt resteront élevés « aussi longtemps que nécessaire » pour lutter contre l’inflation. Les investisseurs réalisent désormais que les taux d’intérêt resteront « plus élevés pour plus longtemps », ce qui augmente encore les coûts d’emprunt.
2. Croissance économique et vigueur des marchés de l’emploi.
Autre raison qui explique l’augmentation des rendements : une économie résiliente couplée à un marché du travail solide. Aux États-Unis, le nombre d’emplois non agricoles a augmenté de 336 000 le mois dernier, ce qui est beaucoup plus que prévu. Dix-huit mois après la première hausse des taux de la Fed, l’économie américaine demeure encore très résiliente. Le délai entre la première hausse des taux d’intérêt et un ralentissement de l’économie est généralement compris entre 12 et 18 mois. Il semble que les économies américaine et européenne s’adaptent cette fois-ci beaucoup plus lentement à la hausse des taux, ce qui plaide en faveur d’un scénario « higher for longer ». La croissance économique demeurant forte et les marchés du travail tendus, les banques centrales doivent maintenir les taux d’intérêt à un niveau élevé pour ralentir la demande de biens et services, ce qui entraînera une baisse de l’inflation.
3. Anticipations d’inflation
Les anticipations d’inflation contribuent à déterminer les taux d’inflation futurs. Une récente étude d’Albrizio et Bluedorn (2023) indique que l’inflation dans les économies développées augmente de 0,8 point de pourcentage pour chaque augmentation d’un point de pourcentage des anticipations à court terme. Les taux d’inflation prévisionnels sont désormais supérieurs à la moyenne historique, tant à court terme qu’à long terme. Alors que les taux d’inflation globale « core » diminuent, l’inflation sous-jacente – qui exclut les prix très volatils des denrées alimentaires et de l’énergie – reste plus de deux fois supérieure à l’objectif de 2 % fixé par la BCE et la Fed. La hausse des attentes en matière d’inflation est l’un des facteurs qui expliquent que les rendements obligataires aient atteint leur niveau le plus élevé depuis 16 ans.
4. Les primes de terme
Les investisseurs demandent une compensation pour supporter le risque de variation des taux d’intérêt pendant la durée de vie d’une obligation. Cette compensation, c’est la « prime de terme ». La prime de terme pour les bons du Trésor à 10 ans a augmenté, non seulement parce que les investisseurs supposent que les banques centrales maintiendront les taux d’intérêt à un niveau plus élevé pendant plus longtemps, mais aussi parce que les gouvernements ont annoncé qu’ils émettraient davantage de titres de créance pour financer des déficits croissants. Le débat dysfonctionnel aux États-Unis sur les dépenses du Congrès et l’éventualité d’un défaut de paiement ne renforcent pas la confiance des investisseurs. Mais les États- Unis ne sont pas les seuls à pécher. Alors que le ratio dette/PIB en Italie dépasse déjà 140 %, le gouvernement de Giorgia Meloni a récemment revu à la hausse ses objectifs en matière de déficit. Ce relèvement menace la cote de crédit de l’Italie. À mesure que la surveillance des agences de notation s’intensifie, l’écart entre les rendements italien et allemand se creuse. Si les investisseurs craignent que les pays fassent défaut ou tentent de gonfler leur dette, les gouvernements doivent payer aux investisseurs des rendements plus élevés afin d’attirer les flux de capitaux pour financer le fardeau croissant de la dette. Les investisseurs ont déjà commencé à exiger une prime plus élevée pour la détention d’obligations à plus long terme, en compensation des risques accrus.
Hausse des rendements obligataires: quelles implications pour les investisseurs ?
Rien ne sert de courir
Un atterrissage en douceur de l’économie est crucial pour se repositionner sur les actifs risqués. Pour y parvenir, la FED doit adopter une politique monétaire plus accommodante, synonyme de baisses de taux. Cependant, les récents événements ont réduit les chances de ces baisses préventives, nécessaires pour éviter une récession. En conséquence, nous restons convaincus du bien- fondé de sous-pondérer les actions mondiales par rapport aux obligations d’État au cours des 6 à 12 prochains mois. Cependant, le choix des obligations appropriées reste une question cruciale.
Avec un taux de 4,80% sur les bons du Trésor américain à 10 ans, les rendements à long terme ont clairement dépassé les estimations raisonnables de la croissance potentielle nominale. En prenant en compte l’estimation actuelle de la croissance potentielle réelle aux États-Unis, autour de 1,8%, et une intlation a lone terme de 25%, le rendement nominal des obligations devrait être d’environ 4.30-4,50%. De plus, les rendements des bons du Trésor à 5 ans dans 5 ans sont désormais supérieurs à la croissance nominale médiane du PIB de la dernière décennie.
Se positionner sur les obligations souveraines américaines a 10 ans
Dans ce contexte, nous avons choisi d’augmenter la duration de nos portefeuilles en investissant dans des obligations à 10 ans. Bien que la courbe soit encore légèrement inversée, elle l’est beaucoup moins qu’il y a quelques mois, le spread entre les taux à 2 ans et à 10 ans n’étant plus que de 30 points de base.
En revanche, le marché des obligations allemandes est moins attrayant, avec des taux nominaux neutres autour de 3,5%, compte tenu d’une croissance potentielle de 1% et d’une inflation de 2,5%. Cependant, les risques de turbulence sur les dettes souveraines européennes justifient les taux actuels de 2,88% sur les obligations allemandes à 10 ans.
Privilégier toutefois le Crédit aux obligations souveraines
Cette suggestion peut sembler paradoxale puisque les taux de défaut devraient augmenter en raison de la décélération économique. Cependant, sur un horizon d’un an, les anticipations de taux de défaut mondiaux de Moody’s ont été récemment révisées à la baisse, passant de 4,9% à 4,3%. De plus, de nombreuses entreprises ont des bilans solides et génèrent toujours des cash-flows confortables.
Ne nous méprenons pas, les petites entreprises risquent de connaître des difficultés dans les mois à venir en raison de l’augmentation du coût du capital et de l’impossibilité de rembourser les prêts garantis par l’État (PGE). Cependant, l’univers d’investissement que nous considérons ne se limite pas à ce secteur de l’économie. Les entreprises, contrairement aux États, n’ont pas massivement augmenté leur endettement pendant la période de Covid. Elles semblent aujourd’hui plus robustes et mieux préparées à traverser une éventuelle récession modérée.
Alors que les dettes souveraines pouvaient être considérées comme des « valeurs refuges » avec le soutien des banques centrales observé par le passé, elles comportent actuellement plus de risque que le Crédit. Cette inversion dans la perception du risque se manifeste par des primes sur le crédit qui restent relativement stables malgré la hausse des taux.
Une préférence pour le Crédit Haut Rendement court-terme
Nous recommandons de se positionner sur les obligations à haut rendement à court terme, offrant un rendement de 5,50% sur une durée de vie estimée à 1,6 ans. Une alternative possible est d’investir dans les obligations « Investment Grade », offrant à la fois un rendement marginal par rapport à l’inflation anticipée de 2%, et la possibilité de profiter d’un gain en capital en cas de retour à la moyenne des taux souverains de 50 points de base.
Quand se repositionner sur les actions ?
Dans cette optique, une baisse des indices boursiers de 5 à 10% offrirait l’opportunité de rééquilibrer les portefeuilles à long terme, en se concentrant sur les secteurs et les sociétés présentant des ratios perspectives/valorisation attrayants, comme LVMH à 20 fois les résultats ‘forward’.