L’équilibre du monde est en train de bouger irrémédiablement vers l’Asie, avec une nouvelle globalisation qui se fait loin de l’Europe.
Nous avons récemment eu l’occasion de rencontrer Christopher Dembik (Conseiller en stratégie d’investissement chez Pictet Asset Management) à l’occasion de son passage à Bruxelles. « Au niveau global, nous ne voyons pas actuellement de foyer systémique susceptible d’entraîner un niveau de risque élevé sur les marchés financiers. La volatilité va surtout être liée aux nombreuses élections qui vont se dérouler durant l’année en cours, et qui représentent 40% du PIB mondial ».
Attrait indien
« Sur cette thématique des élections, nous avons un focus plus particulier sur l’Inde, qui est devenu la principale destination des flux financiers se dirigeant actuellement vers les pays émergents ». Il souligne que ce marché est très atypique, car dominé par les valeurs liées à la consommation (livraison de repas à domicile, agences de voyages, etc) contrairement au marché chinois qui est davantage dominé par la technologie.
« En outre, cette économie est également en train de se digitaliser très rapidement, et Modi devrait être logiquement réélu à la présidence avec la majorité absolue au niveau de la chambre basse, qui a le dernier mot en matière de politique budgétaire ». Ce facteur explique pourquoi le marché indien reste actuellement une des convictions fortes de Pictet Asset Management.
Routes commerciales
Christopher Dembik souligne également que le cas indien est caractéristique d’une nouvelle phase de la mondialisation, qui présente la particularité de se faire sans les pays occidentaux. « Entre Istanbul et Djakarta, vous avez une énorme zone qui est en train d’émerger, et qui rassemble 3,5 milliards de personnes avec une croissance des revenus la plus élevée au niveau mondial ».
« Ce développement s’est fait sans l’argent ou les ingénieurs des pays de l’Ouest, et c’est la première fois que ça arrive depuis la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb en 1492. C’est une zone qu’il faut aujourd’hui regarder d’assez près pour diversifier son portefeuille, notamment au travers du marché indien qui présente en plus l’avantage d’être assez peu régulé par les autorités ».
Vision de long terme
« Notre vision stratégique de long terme se base sur la géologie (terres rares, métaux), la géopolitique (risques localisés) et la géographie (globalisation), trois facteurs qui vont structurer la décennie à venir. C’est un monde économique qui va être plus fragmenté et protectionniste. A ce titre, il faut reconnaître qu’historiquement, les 60 dernières années ont été plutôt une anomalie, qui va être remise en cause durant les prochaines années ».
Il souligne également que de nombreux aspects du commerce international ont été structurellement et durablement fragilisés, avec notamment les fermetures des canaux de Suez et Panama, les tensions en Mer Rouge, voire d’éventuels conflits entre la Chine et Taiwan ou les Philippines. « Cette région représente aujourd’hui 40% du commerce extérieur de l’Union Européenne, et un embrasement pourrait fragiliser fortement l’Europe ».
Dans l’ensemble, il estime que la fermeture de la Mer Rouge ne devrait pas avoir d’effet catastrophique à court terme, soit un surcout d’inflation nominale de l’ordre de 0,4% en moyenne dans les pays développés. « A moyen terme, il y a toutefois un risque de fortes perturbations sur les chaînes d’approvisionnement.
Classes d’actifs
Dans cet environnement macroéconomique, Christopher Dembik met en avant plusieurs thématiques d’investissements pour les prochains mois. « Il est préférable de détenir ce qui est incontournable pour la plupart des investisseurs, et donc être exposé sur les Magnificent Seven dans les portefeuilles. Les flux financiers se dirigent structurellement vers ces grandes sociétés dans l’environnement boursier oligopolistique actuel, avec un nombre limité d’actions qui accaparent la majorité de la création de valeur, qui disposent de barrières élevée à l’entrée et qui sont incontournables dans toutes les transitions ».
A l’inverse, il ne croit pas en un retour des petites capitalisations en 2024, car elles restent handicapées par des flux qui restent défavorables, un manque d’avantages compétitifs sur le long terme et vont faire face à des difficultés de refinancement. « Nous restons par contre constructif sur la dette à haut rendement, dans un contexte économique qui devrait rester résilient et permettre d’éviter de gros problèmes de refinancement ». Il s’attend à des baisses des taux directeurs qui interviendront plus tard que les anticipations du marché, et qui devraient être de moindre ampleur, soit deux ou trois baisses contre six attendues pour le marché. « Dans ce contexte, le potentiel de baisse des taux longs nous semble actuellement limité ».
Outre le marché indien, Christopher Dembik conserve une conviction forte sur le Japon. « Il s’agit d’un marché qui est relativement bien déconnecté de la conjoncture mondiale, avec des entreprises qui disposent d’une trésorerie au plus haut depuis cinquante ans ». Il constate également que la consommation est aujourd’hui plus dynamique que dans un passé récent ». Enfin, les flux internationaux de liquidités privilégient actuellement ce marché alors qu’ils sont en contraction dans les autres économies, avec des perspectives qui sont donc favorables pour la croissance économique.