Détenir plus de 30 actions dans un portefeuille de fonds n’augmente plus la diversification
En marge du Trends Summit 2024, nous avons eu la chance de nous entretenir avec Ariane Kesrewani, Senior Investment Specialist de la franchise « Swiss & Global Equity » à l’Union Bancaire Privée (UBP). Elle défend les entreprises mondiales qui figurent au top de leur industrie et peuvent également y rester, mais aussi le marché d’actions suisse notamment les petites et moyennes capitalisations, qui présente de nombreuses caractéristiques que les investisseurs belges peuvent apprécier.
Quel est le périmètre de votre franchise actions au sein de l’Union Banque Privée (UBP) ?
Ariane Kesrewani : Nous avons environ 5 milliards USD sous gestion et sommes surtout spécialisés dans la gestion de fonds d’actions mondiaux et suisses, bien que nous ayons également des fonds plus niches dans notre gamme qui se concentrent sur les actions européennes ou les valeurs technologiques. Notre philosophie en matière d’investissement est de trouver des entreprises qui créent de la valeur au travers de leur cycle de vie. Notre fleuron se concentre sur un portefeuille de grandes entreprises mondiales à forte création de valeur durable et pérenne : nous y avons 3,2 milliards USD d’actifs sous gestion. Ces entreprises sont leaders depuis de nombreuses années et notre analyse nous amène à penser qu’elles le resteront aussi au cours des cinq à dix prochaines années. 2023 a été une année exceptionnelle pour notre franchise ‘Swiss & Global Equity’, car nous avons collecté 800 millions USD, principalement de clients institutionnels.
Quel est le positionnement de votre fleuron ?
Ariane Kesrewani : Nous le positionnons comme un fonds « buy and hold » avec une allocation d’actions mondiale. Et ce n’est pas seulement un « buy and hold » pour nos investisseurs, mais aussi pour nous. Sur les 30 valeurs en portefeuille, 7 sont présentes dans le fonds depuis le lancement en 2010. Il s’agit d’un portefeuille stable sur le long terme avec une rotation très faible. Nous ne nous précipitons pas sur les dernières nouvelles idées et ne participons pas aux introductions en bourse. Ce sont des valeurs vraiment établies, des entreprises blue chip comme Microsoft ou Visa. Le fonds crée une exposition à plusieurs thématiques structurelles à travers des entreprises qui sont leaders dans leur segment et devraient le rester.
En 2023 et au cours de ces derniers mois, nous avons vu qu’une masse d’argent importante est partie vers les Magnificent Seven. Pouvez-vous vous en tenir à votre philosophie alors que toute l’attention est portée sur ces Magnificent Seven ?
Ariane Kesrewani : C’est une excellente question. Et c’est en fait le sujet de conversation le plus important dans toutes nos réunions avec les clients. Si les investisseurs ne disposaient pas d’actions américaines en portefeuille au début de 2023, ils seraient passés à côté d’une performance de 26 %. Grâce à notre stratégie, nous avons fourni un rendement de 22 %, en ligne avec l’indice de référence mondial, et ce, malgré la détention de seulement deux des Magnificent Seven en portefeuille. Cela montre qu’il n’est pas indispensable de détenir chacun des sept noms. Nous sommes d’ailleurs d’avis que les investisseurs devraient adopter une approche sélective en général et particulièrement concernant les sept car il y a trop de battage médiatique autour d’eux pour le moment et nous avons déjà constaté une légère décorrélation entre eux.
Est-ce qu’avoir 30 noms en portefeuille assure une diversification satisfaisante ? Et d’un point de vue de la valorisation, n’est-ce pas un obstacle en raison de leur pondération élevée dans les ETF populaires ?
Ariane Kesrewani : Les ETF présentent aujourd’hui en effet un risque de concentration trop élevé : 30 % de l’ETF SPDR, le S&P 500 en d’autres termes, se trouvent dans les Magnificent Seven et plus de 45% de l’ETF Information Technology se résument à trois noms : Apple, Nvidia, Microsoft. Pourquoi les investisseurs achètent-ils des trackers ? Pour être diversifié, mais ce n’est pas le cas pour le moment. Nous pensons qu’une stratégie d’investissement active doit être privilégiée. Notre fleuron compte 30 noms, mais nous ne permettons pas qu’un seul nom devienne trop dominant et que la volatilité du portefeuille augmente. C’est pourquoi nous avons choisi de répartir le poids actif de tous nos noms de manière quasi-équipondérée. En outre, une étude académique a montré qu’ajouter plus de 30 actions ne permet que peu de diversification supplémentaire du risque idiosyncratique.
Comment s’insère votre fleuron dans une construction de portefeuille? Et quelles sont les autres stratégies au sein de votre gamme ?
Ariane Kesrewani : Nous le positionnons comme une allocation de base, une stratégie que tout investisseur devrait avoir dans son portefeuille. Et si les investisseurs veulent une allocation plus défensive, notre stratégie sur les actions suisses pourrait être un satellite. Si les investisseurs veulent miser sur la technologie ou l’Europe, par exemple, nous avons des stratégies basées sur la même philosophie d’investissement qui peuvent aussi servir de satellite. C’est la beauté de notre processus d’investissement qui peut être décliné sur différentes régions et thématiques mais toujours à la recherche d’entreprises qui, de par leur faculté à dégager des Cash-Flow Return On Investment (CFROI®) intéressants tout au long de leur cycle de vie ou des phases de marché, représentent des opportunités d’investissement. L’approche est purement bottom-up, axée sur l’analyse fondamentale de l’équipe expérimentée.
La gestion passive devient de plus en plus importante. Pensez-vous qu’il y a encore de la place pour une gestion active dans le monde de l’investissement ?
Ariane Kesrewani : C’est une question très légitime, surtout au vu des développements en matière d’intelligence artificielle. L’automatisation, la puissance de calcul et la partie robotisée de l’analyse et de la prise de décision peuvent évidemment rendre les choses plus efficaces pour les solutions passives. Mais je pense qu’il faut conserver la partie active du marché, pour les investisseurs qui cherchent un positionnement différencié. Il y a toujours des investisseurs qui souhaitent investir une partie de leur portefeuille de manière plus régionale, inclure des critères ESG, ou adopter une position sélective sur un secteur ou un marché particulier. La gestion active apporte de la valeur aux investisseurs. Si tout le monde passe à la gestion passive, les prestations seront identiques et tout le monde achètera les mêmes noms. En d’autres termes, il ne sera plus possible de générer d’alpha étant donné que tout le monde sera lié au benchmark par le coefficient bêta. Il serait dommage d’éliminer cette possibilité d’alpha.
Vous gérez également un grand fonds d’actions suisses, y a-t-il actuellement un grand intérêt pour ce marché plutôt défensif ?
Ariane Kesrewani : Notre équipe a commencé à gérer les actions suisses en 2006 en raison de la qualité élevée du marché suisse et notez bien que c’est toujours le cas. Ensuite, s’inspirant de ce modèle, nous avons progressivement développé nos stratégies globales. Les actions suisses sur le marché suscitent actuellement un grand intérêt. Non seulement parce que ce marché est perçu comme défensif, mais aussi parce que le segment des petites et moyennes capitalisations est très dynamique. Et cette partie du marché pourrait en particulier bénéficier de la reprise de croissance de l’économie suisse attendue pour 2024 et 2025.
Qu’est-ce qui préoccupe vos clients/investisseurs aujourd’hui ?
Ariane Kesrewani : Le mois dernier, j’ai rencontré des clients privés et institutionnels dans toute l’Europe, et deux préoccupations se dégagent clairement aujourd’hui. Tout d’abord, l’intelligence artificielle suscite un vif intérêt. Comment l’IA va-t-elle affecter notre vie mais aussi nos investissements ? Il y a vraiment un gros point d’interrogation sur la mise en œuvre et l’impact de l’IA. Le battage médiatique autour de ce sujet n’a manifestement pas manqué son effet. Pour nous, l’IA n’en est qu’à ses débuts et tous les secteurs comme les soins de santé et la consommation de base en récolteront les fruits. Mais il faut d’abord voir des résultats concrets sous la forme de gains de productivité. Les investisseurs sont curieux. Ensuite, les investisseurs se trouvent noyés d’informations financières et boursières au travers d’une multitude de canaux de diffusion, en plus des réseaux sociaux. L’accès régulier et facilité des clients à des experts qu’offre un gestionnaire d’actif comme UBP, ainsi qu’une communication transparente sur la situation des marchés, qui ont été très volatils ces dernières années, sont des solutions recherchées par les investisseurs.
Dans le monde de l’investissement, on accorde moins de priorité à l’ESG. Vous le voyez aussi ? Et quelle est l’importance de l’ESG pour vous ?
Ariane Kesrewani : En effet, il y a une certaine lassitude par rapport à l’ESG et nous distinguons deux catégories. D’une part, les investisseurs soucieux de l’ESG et qui continuent d’en tenir compte aujourd’hui. D’autre part, les investisseurs qui ne faisaient pas jouer l’ESG dans leur décision d’investisseur auparavant, et qui ne le font toujours pas aujourd’hui. Dans le cadre de nos stratégies, le premier objectif est de réaliser un rendement durable et l’intégration des critères ESG y contribue naturellement. Et appliquer l’ESG constitue aussi un exercice de gestion des risques. Par exemple, si l’on peut prévoir les implications ESG sur les flux de trésorerie d’une entreprise, ou s’il y a un impact important sur l’empreinte CO2 d’une entreprise, il s’agit d’un exercice de gestion des risques. Dans ce cas, c’est un élément très important à intégrer dans notre analyse fondamentale. Il n’est pas question de décider soudainement d’investir dans les énergies renouvelables, ou dans les parcs éoliens, ou de positionner le portefeuille en fonction des tendances ESG. Cela constitue un élément important de notre processus décisionnel discipliné.