L’édito du mois par Olivier de Berranger, CEO, La Financière de l’Échiquier.
Pour faire face à la Guerre de 30 ans, Richelieu puis Mazarin furent contraints de continuer une politique dure d’augmentation des impôts et taxes. Après avoir doublé entre la bataille de Marignan et la fin du 16e siècle, les dépenses du Royaume sont quintuplées entre 1600 et 1650. En outre, pour asseoir le pouvoir royal, une série de réformes et de nouvelles réglementations attise la concurrence au sein des métiers de robe et autres offices, provoquant incompréhensions et déclassements.
Si l’Histoire ne se répète jamais, les déclarations récentes des patrons français contre l’instabilité fiscale française et l’obsession régulatrice européenne sont inédites. Guillaume Faury, patron d’Airbus et président du GIFAS1, déclarait récemment, à propos de la filière aéronautique et spatiale, qu’il ne faut pas « lui mettre des bâtons dans les roues, la taxer et l’empêcher de fonctionner2» , le communiqué du groupement appelant à « desserrer l’étau réglementaire ».
Le rapport Draghi interpellait la gouvernance européenne sur le déclin affolant de l’Europe depuis 15 ans et les efforts urgents de compétitivité à mettre en œuvre. L’audition de M. Florent Menegaux, PDG de Michelin, au Sénat est à cet égard une leçon magistrale et litanique des distorsions de concurrence.
La France représente 9% du chiffre d’affaires de Michelin mais 16% ses effectifs et de ses prélèvements fiscaux mondiaux. Michelin a par exemple l’interdiction d’exporter en Inde des pneus agricoles, au mépris des règles de l’OMC, alors que les Indiens viennent de prendre 10% de parts de marché en France, puisque ni la France ni l’Union européenne n’interdisent les importations indiennes desdits pneus. Michelin est présent dans tous les pays d’Europe. Une directive européenne dotée d’une déclinaison par pays représente 27 déclinaisons sur une même réglementation avec des spécificités nationales. M. Menegaux ajoute « et avec les surenchères locales qui se produisent, c’est un cauchemar administratif ».
Viennent ensuite les coûts de production. Si Michelin produisait en Asie sur une base de coût de 100 en 2019, 5 ans après ces coûts incluant les matières premières, l’énergie et les salaires sont à peu près stables grâce aux efforts de productivité. En Europe, la base qui était de 134 en 2019, plus élevée mais gérable, est devenue 191. Un quasi doublement dû notamment à l’explosion du coût de l’énergie à la suite de la guerre en Ukraine et au processus de fixation des prix en Europe.
Michelin, comme l’ensemble des entreprises européennes, aime la concurrence et se frotter à l’élite mondiale. Mais pour que la compétition soit juste, il ne faut pas lorsque vous jouez au foot avec une équipe de 11 joueurs, que l’autre équipe puisse compter « 22 joueurs et prendre la balle avec la main ».
Alors que l’Allemagne pourrait aligner une troisième année consécutive de récession, pour Peter Leibinger, patron de l’industrie allemande, les perspectives ne sont pas seulement sombres, elles sont aussi extrêmement incertaines avec le changement de gouvernance américaine.
Les marchés ont déjà intégré cette surcouche réglementaire européenne qui bride la rentabilité des entreprises. Tout changement serait fortement bénéfique pour les actions européennes qui, en dollars, ont progressé de plus de 90% depuis le 1er janvier 2008, pendant que les marchés américains s’envolaient de 477%3… Toute embellie sur l’allégement du fardeau réglementaire et la réelle mise en place d’un choc de simplification dégageraient l’horizon.
En attendant ce choc tant espéré, depuis ce dimanche 2 février, le RIA – règlement européen sur l’Intelligence Artificielle – entre en vigueur, venant s’ajouter aux exigences de DORA4, applicable depuis le 17 janvier, qui s’adresse plus spécifiquement aux services financiers, alors que l’avenir de CS3D5 et CSRD6 se joue en ce moment.
1 Groupement des Industries Françaises Aéronautiques et Spatiales
2 https://www.youtube.com/watch?v=mWclEvmePog
3 Stoxx Europe 600 en USD / S&P 500
4 Digital Operational Resilience Act
5 Corporate Sustainability Due Diligence Directive, 2024
6 Corporate Sustainability Reporting Directive