Thomas Planell DNCA Investments
Depuis 2022, les hausses des taux directeurs et l’inversion de la courbe des taux (respectivement les plus forte et longue de l’histoire) ont déclenché les alarmes de la récession.
En Europe, elle fut évitée de justesse après la révision à la hausse du PIB par Eurostat pendant l’été 2023.
Aux Etats-Unis, elle ne semble jamais avoir sérieusement menacé de sévir.
Si l’économie américaine a aussi bien résisté aux hausses des taux, cela signifie-t-il que le taux neutre de long terme (R*) est plus élevé qu’auparavant ?
Il est délicat de définir les déterminants du taux neutre, considéré comme théorique. A l’appui de sa hausse, les économistes évoquent généralement les gains de productivité (qui permettent à l’économie de croître davantage, sans surchauffer), les anticipations d’inflation ou un solde migratoire positif. Au contraire, le vieillissement de la population, la natalité déclinante justifient un taux plus faible.
La question semble en tous cas préoccuper les marchés et diviser les membres de la FED. Pour la première fois depuis 2005, la décision du Federal Open Market Committee (FOMC) de réduire de 50 points de base les taux directeurs n’a pas été prise à l’unanimité. Surtout, l’écart s’accroît entre les projections de taux cibles des membres du FOMC. En 2026, les faucons envisagent 4%, les colombes 2,4%. Le taux médian, supérieur aux attentes du marché, grimpe par rapport au dernier meeting…
Pour l’instant, le risque qui les préoccupe le plus ne semble plus être celui de l’inflation mais bien le danger qui pèse sur le marché de l’emploi, et donc la croissance.
Le marché de l’emploi continuera de concentrer l’essentiel des préoccupations. Les chiffres du chômage, en raison de l’inertie du marché du travail, mettent beaucoup de temps à refléter les aléas du cycle. Les données dont nous disposons, ainsi que la lumière qui nous provient des étoiles, sont de l’information passée. Seul l’avenir pourra nous dire si la trajectoire de taux prise par la FED est adaptée à la réalité économique que traverse le pays.
Faute de mieux, les investisseurs se tournent vers le passé pour tenter d’appréhender les attentes de rendement après la première séquence de baisse des taux de la FED. Historiquement, si elle n’est pas suivie d’une récession, la première baisse de taux augure d’un bon millésime pour les actions. Dans le cas d’une récession, le destin s’assombrit. Statistiquement, c’est au moment de la désinversion de la courbe des taux que le compte à rebours de l’entrée en récession et de la fin des réjouissances s’enclenche. La semaine qui a précédé la décision de la FED, l’écart entre les obligations à 10 ans et à 2 ans est redevenu positif. Dans près de 60% des cas, cela a précédé d’un an l’entrée en récession de l’économie américaine au cours des 50 dernières années…
La lecture est rendue compliquée par la contradiction des messages véhiculés par les classes d’actifs. Les futures sur taux courts traduisent une vue plus accommodante que celle de la FED. Ils penchent en faveur d’un ralentissement économique plus marqué que le scénario de soft-landing que plébiscitent pourtant les marchés actions, en attestent les attentes de croissance de bénéfices à deux chiffres en Europe et aux Etats-Unis. Difficile de savoir à quel saint se vouer. A l’approche des résultats du troisième trimestre, les révisions baissières semblent néanmoins débuter, au gré des avertissements sur résultats, comme celui de Mercedes. Le retour de la décorrélation entre les marchés obligataires et les marchés actions est une excellente nouvelle pour les gestions diversifiées, mais attention à la convergence des scénarios économiques… Peut-on vraiment tabler sur une croissance bénéficiaire généralisée tout en postulant le ralentissement du marché de l’emploi, de la croissance, et la désinflation ?