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Par Prof. Dr. Jan Viebig, Chief Investment Officer, ODDO BHF Asset Management.

L’économie allemande est confrontée au défi d’une ère potentiellement conflictuelle pour l’économie mondiale alors qu’elle est déjà en position de faiblesse certaine. Trump semble bien décidé à mettre en œuvre les augmentations de droits de douane annoncés, sans longues négociations. Cette politique commerciale risque d’exacerber des conflits commerciaux entre la Chine, les États-Unis, le reste du continent américain et l’Europe. Il est actuellement impossible de prévoir avec certitude les conséquences pour le commerce mondial d’une éventuelle spirale de taxes punitives et de mesures de rétorsion. En début de semaine, le président américain a annoncé des droits de douane de 25 % (« sans exceptions ni exemptions », a-t-il souligné) sur toutes les importations d’acier et d’aluminium ; le décret correspondant devrait entrer en vigueur le 12 mars. La réaction immédiate des investisseurs européens a été de vendre leurs actions de producteurs d’acier européens, notamment Arcelor Mittal, Salzgitter et Thyssen-Krupp. Cette première réaction boursière est symptomatique de la nervosité actuelle des marchés. En même temps, Trump a laissé entendre qu’il pourrait également augmenter les droits de douane sur les voitures, les microprocesseurs et les médicaments.

Pour l’économie allemande, le retour de Trump à la Maison Blanche est un facteur d’incertitude de plus. L’économie allemande est particulièrement axée sur l’exportation, et dépend donc de marchés ouverts et de droits de douane modérés. Selon une étude de l’Institut pour l’économie mondiale (IfW) à Kiel, la politique tarifaire annoncée pourrait faire chuter le commerce mondial de 2,5 % en 2025 et d’environ 4 % à long terme, et faire baisser le produit intérieur brut (PIB) mondiale de 0,75 % à court terme et d’environ 0,6 % à long terme. Par ailleurs, l’impact économique serait plus important pour l’Europe que pour les États-Unis.

Les mauvaises nouvelles s’enchaînent pour l’économie allemande. En 2024, la production du pays a chuté de 4,5 %. Dans l’industrie plus particulièrement, la baisse est encore plus prononcée à 4,9 %. C’est la continuation d’une tendance amorcée au printemps 2023. Deux secteurs clés sont particulièrement touchés : l’industrie automobile et la construction mécanique, avec une baisse de 7,2 % et de 8,1 % respectivement. Le commerce extérieur de l’Allemagne est aussi en mauvaise posture : ​ les exportations ont diminué de 1 % en 2024 pour atteindre un peu moins de 1.600 milliards d’euros. Rien qu’en décembre 2024, les exportations vers les États-Unis ont chuté de 3,5 %. Mais les États-Unis ne sont pas le seul pays concerné : la Bundesbank explique ce déclin dans le commerce extérieur par « la compétitivité réduite de l’industrie allemande » et par la forte pression concurrentielle de l’étranger, notamment de Chine.1

Après deux ans de croissance négative en 2023 et 2024, l’économie allemande se dirige peut-être vers une troisième année de récession. La crise économique actuelle met en relief les faiblesses de l’Allemagne en termes de production industrielle, faiblesses qui ont fait boule de neige au cours des dernières années. Les entreprises continuent d’investir dans la recherche et le développement, mais ont fortement diminué leurs investissements dans leurs usines et sites de production en Allemagne. Elles ont également diminué de 17 % leurs investissements dans les machines et équipements comparés au pic de 2020 (prix ajustés ; voir graphique 1).

Graphique 1 : Investissements dans les secteurs non gouvernementaux (T1 2015 – T3 2024)

Source: Destatis / LSEG Datastream

Cela dit, nous ne sommes pas près d’entonner le chant du cygne de l’industrie allemande, même si nous sommes persuadés que l’économie souffre d’attendre des réformes qui ne viennent pas. Les partis politiques, actuellement en pleine campagne électorale, abordent à peine la question de de l’amélioration des conditions de production en Allemagne. Il est urgent de réduire l’impôt sur les entreprises. Le prix élevé de l’énergie en comparaison internationale pèse aussi sur l’économie. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle les entreprises ne veulent plus investir dans la production sur le sol allemand. L’Allemagne doit mettre en place les conditions-cadres nécessaires pour relancer la croissance et la production industrielle. Plutôt qu’une guerre de tranchées entre partis politiques, il nous faut des idées créatives, par exemple pour gérer le vieillissement de la population et la pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Alors que la politique mondiale se dirige vers une phase difficile, les autorités allemandes doivent doter l’économie d’un programme qui inspire confiance.

Néanmoins, en Allemagne comme ailleurs en Europe, il existe de nombreuses entreprises de qualité cotées en bourse, qui offrent des opportunités d’investissement intéressantes, notamment pour les investisseurs avec une perspective à long terme, selon leur profil risque. Les entreprises allemandes, particulièrement tournées vers l’international, réalisent souvent une grande partie de leur chiffre d’affaires à l’étranger et investissent massivement dans l’internationalisation de leur production. Beaucoup d’entre elles fabriquent des produits hautement spécialisés qui trouveront acheteur malgré des droits de douane plus élevés. La question qui fait actuellement débat parmi les acteurs de marchés est la suivante : l’interdépendance des entreprises allemandes est-elle source de risques dans le contexte de conflits commerciaux qui se profile à l’horizon ?

Nous sommes d’avis que la diversification internationale des investissements est la meilleure protection qui soit contre l’incertitude qui pèse aujourd’hui sur l’économie mondiale. La saison des résultats en cours indique que les actions américaines ont vu une forte croissance des bénéfices au dernier trimestre. Selon le cabinet d’études Factset, sur la base des résultats déjà publiés et des estimations pour les entreprises n’ayant pas encore annoncé de résultats, les entreprises du S&P 500 auraient vu leurs bénéfices croître de 16,4 % au quatrième trimestre 2024, la plus forte performance depuis le quatrième trimestre 2021. Pour cette seule raison, les investisseurs allemands devraient continuer à diversifier leurs investissements en actions à l’international plutôt que de se focaliser sur un seul pays ou une seule région.

1 Deutsche Bundesbank: Monatsbericht Januar 2025, Seite 4.

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