La banque privée Puilaetco et sa maison mère luxembourgeoise Quintet ont partagé ce 12 décembre leurs perspectives d’investissement pour 2024. Rencontre avec Nicolas Sopel, Head of Macro Research de Quintet.
Quelle tendance générale prévoyez-vous ?
Après 12 mois marqués par de multiples hausses des taux d’intérêt et une inflation persistante, nous pensons que les taux ont atteint leur maximum dans le monde occidental, tout comme les rendements des obligations d’État. Pour 2024, nous prévoyons une année en deux temps. Tout d’abord avec un ralentissement de la croissance économique mondiale au premier semestre – période pendant laquelle la possibilité d’une récession légère est très probable en Zone Euro ainsi qu’en Grande-Bretagne, mais un peu moins aux États-Unis. Puis en milieu d’année, les banques centrales devraient profiter de ce ralentissement et du recul des pressions inflationnistes pour commencer à réduire leurs taux, afin de soutenir l’économie. Une reprise généralisée à partir du second semestre 2024 est envisageable.
Parallèlement, les investisseurs vont devoir faire abstraction de l’agitation ambiante (notamment liée aux principales échéances électorales aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Belgique, à Taïwan, en Inde et en Indonésie), à la persistance de l’incertitude géopolitique et aux tensions régionales. L’évolution vers un monde plus multipolaire amorcée par la pandémie continue de se manifester à travers la fragmentation des chaînes logistiques, des échanges commerciaux et de la finance. Nous passons d’un monde dominé par la politique monétaire des banques centrales à un monde où les gouvernements reprennent du poids. Les politiques fiscales, industrielles et même étrangères joueront probablement un rôle plus important dans la différenciation des gagnants et des perdants parmi, et au sein, des classes d’actifs.
Qu’est-ce que cela implique pour les investisseurs ?
En tant que banque privée et gestionnaire de patrimoine, nous gérons avec une grande prudence les portefeuilles de nos clients. De notre point de vue, il vaudra mieux se tourner vers des actifs susceptibles de présenter des avantages défensifs et de diversification, réduisant ainsi le risque sur les portefeuilles.
Les obligations d’État de grande qualité restent attrayantes et pourraient permettre d’amortir les effets d’une éventuelle dégradation des perspectives économiques plus importante que prévue. En revanche, le crédit plus risqué des obligations d’entreprises semble peu attrayant dans la mesure où il est susceptible d’être affecté par le resserrement des conditions financières et par des valorisations qui ne reflètent pas le risque de hausse des taux de défaut.
Du côté des actions, dans la mesure où les taux d’intérêt ont désormais atteint leur sommet (la remontée des taux ayant été le principal obstacle pour les marchés) et où les marchés semblent avoir déjà intégré la perspective d’un ralentissement modéré, nous renforçons de manière légère l’allocation en actions, avec une exposition accrue aux actions européennes et aux actions des pays développés de la région Pacifique hors Japon (elles devraient bénéficier de la dynamique de croissance associée aux économies de marché émergentes et à l’Asie), en complément des actions américaines de qualité. L’objectif est d’accroître la diversification à l’échelle régionale et de profiter potentiellement de dynamiques de croissance très différentes.
Parallèlement, une exposition accrue aux matières premières peut fournir des leviers supplémentaires permettant de se protéger contre les pressions inflationnistes, en particulier à court terme, ainsi que contre la montée des risques géopolitiques et des prix de l’énergie. Cette démarche nous permet aussi de prendre profit sur l’or, un actif qui est aujourd’hui quelque peu surévalué par rapport à d’autres valeurs refuges.
Quid des devises ?
Nous estimons que le dollar US pourrait s’affaiblir, quoique modérément, courant 2024. Les baisses de taux de la Réserve fédérale américaine, le léger creusement des déficits budgétaire et commercial américain et la surévaluation persistante du dollar US risquent de peser sur le billet vert. À mesure que la croissance commencera à se redresser au second semestre, la confiance à l’égard du risque pourrait elle aussi se rétablir, ce qui soutiendrait l’euro et la livre sterling. Nous pensons toutefois que l’affaiblissement éventuel du dollar sera limité dans la mesure où la Banque centrale européenne et la Banque d’Angleterre commenceront probablement elles aussi à réduire leurs taux au second semestre 2024.