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Vue macro-économique par Bruno Cavalier, Chef économiste ODDO BHF

Si Volodymyr Zelensky a mérité le titre de Personne de l’année décerné par le magazine Time, on peut attribuer au terme « inflation » le titre de Mot de l’année. Sa fréquence d’utilisation n’a rien à envier à l’omniprésence médiatique du président ukrainien. Selon Alphabet Trends, le terme « inflation » n’a jamais été aussi utilisé dans les moteurs de recherche ou dans la presse. L’inflation est normalement un problème dont débattent les seuls experts, qu’ils soient banquiers centraux, économistes ou investisseurs. Mais en 2022, pour la première fois depuis quatre décennies, l’inflation est redevenue un sujet de grande préoccupation pour le citoyen ordinaire.

En Europe, en moins d’un an, l’inflation a plus que doublé pour dépasser 10%. L’inflation alimentaire a quadruplé à près de 15%. L’inflation énergétique a dépassé 40%, et le choc eût été bien plus large si chaque pays n’avait pas mis en place des « boucliers tarifaires » pour limiter le renchérissement des factures de gaz et d’électricité. En 2022, l’inflation n’a cessé de surprendre par sa vigueur et sa persistance. C’est à se demander si elle peut être ramenée vers un niveau où précisément on n’en parle plus – sauf entre experts.

Il y a quelques raisons d’espérer. Notons que les tensions de prix ont perdu un peu de force ces derniers mois, au moins dans quelques régions. Selon nos estimations, le taux d’inflation mondial a atteint son zénith au voisinage de 10% (graphe). Il plafonne, étape incontournable avant une éventuelle décrue. Sa moyenne historique se situe aux alentours de 3%. Il reste du chemin avant d’avoir effacé le choc.

Quelles sont les forces poussant vers la désinflation ? Pour le voir, il faut passer en revue les divers facteurs qui ont causé un emballement soudain de l’inflation presque partout dans le monde.

Tout d’abord, le terrain inflationniste avait été en quelque sorte fertilisé lors de la pandémie. Du côté de la demande, en effet, les contraintes budgétaires avaient été desserrées au maximum afin d’enclencher une reprise rapide après la fin des confinements. Ces programmes de relance sont désormais épuisés. Sans être restrictives, les politiques budgétaires sont bien moins stimulantes. Selon la Commission européenne, le déficit public en zone euro a été divisé par deux entre 2020 et 2022, passant de 7% à 3.5% du PIB. Aux Etats-Unis, il est passé de 15% à 6%. La remontée des taux d’intérêt oblige les Etats à plus de prudence.

Du côté de l’offre, la pandémie avait causé des retards de livraisons, des pénuries de composants, une fragmentation de la chaîne logistique, le tout aboutissant à contraindre la production précisément au moment où la demande était stimulée. L’envolée des prix de matières premières en résultant s’est alors répercutée en cascade d’abord sur les coûts de production, puis les prix de détail. Ce phénomène joue maintenant à l’envers. Les perspectives de croissance globale étant tombées sous la normale, les cours des matières premières sont en recul. Les prix du fret ont chuté. Les délais de livraison se normalisent. Dans plusieurs secteurs, les entreprises ont désormais trop d’inventaires, qu’il faudra brader. Tout cela est désinflationniste.

Le choc d’inflation a aussi été attisé par les tensions géopolitiques, surtout la guerre en Ukraine. Cet événement a mis en évidence l’excessive dépendance énergétique de l’Europe vis-à-vis de la Russie. On ne se passe du jour au lendemain d’un tel fournisseur. La recherche de substituts est longue et coûteuse, mais d’importants efforts ont été accomplis en termes de diversification et d’efficacité énergétique. Même si la crise énergétique n’est pas terminée, son maximum d’intensité paraît derrière nous. Les prix de l’énergie ne reviendront pas au bas niveau auquel on était habitué, ils seront plus volatils mais il est peu probable qu’ils connaissent la même envolée qu’en 2022. Le choc d’incertitude a eu lieu une fois, pas deux. Le temps passant, l’effet sur l’inflation ira en s’amenuisant.

Enfin, il faut considérer la réponse des politiques monétaires au choc d’inflation. A de rares exceptions, les banques centrales ont toutes durci leur politique à un rythme inédit. En moyenne sur une quarantaine de pays, nous estimons que la hausse des taux directeurs a été d’environ 250 points de base en moins d’un an. Le processus est amené à se poursuivre, au moins sur les premiers mois de 2023. Pour l’instant, le resserrement ne pèse que sur les secteurs très sensibles au taux d’intérêt comme l’immobilier mais le reste de l’économie sera inévitablement touché.

En somme, les conditions se mettent peu à peu en place pour calmer les hausses de prix. La désinflation a commencé timidement aux Etats-Unis depuis l’été. L’Europe, avec une demande plus déprimée, devrait suivre avec un décalage d’environ un semestre. On ne saurait exclure que le recul de l’inflation soit rapide en 2023 car, malgré l’ampleur du choc, les anticipations d’inflation à moyen terme n’ont pas dérapé.

Par prudence, il faut toutefois considérer deux risques poussant dans l’autre sens. Primo, il subsiste des tensions sur les marchés du travail, certains secteurs font face à des pénuries de personnel. A ce jour, il n’y a pas de boucle prix-salaires, mais c’est un point à surveiller. Secundo, si la Chine parvient à lever avec succès sa politique zéro-Covid (ce n’est qu’une hypothèse), la demande chinoise qui a fait défaut aux marchés mondiaux depuis trois ans rebondira, risquant de remettre de l’huile dans le brasier inflationniste.

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