Marc-Antoine Collard, Chef Économiste & Responsable de la recherche Rothschild & Co Asset Management.
Le changement climatique, la réduction des inégalités et de meilleurs systèmes de gouvernance sont autant de défis pour rendre notre monde de demain plus juste et durable, et Rothschild & Co est engagé dans cette démarche.
La recherche économique du Groupe s’insère dans cette approche en apportant une analyse sur les principaux risques et opportunités auxquels sont exposés les acteurs économiques. ESGnomics a pour but de transmettre de façon pédagogique les apports des sciences économiques à la réflexion sur les thématiques Environnementales, Sociales et de Gouvernance.
De l’intérêt d’une bonne gouvernance
Lors de l’analyse des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance, l’élément « G » est souvent délaissé au profit des sujets entourant les risques climatiques ainsi que d’autres sujets « E » et « S ». Pourtant, il est également important de comprendre les risques liés à la gouvernance.
Le facteur G
Dans le secteur privé, les mauvaises pratiques de gouvernance d’entreprises ont été au cœur de certains des plus grands scandales comme, par exemple, la fraude de Volkswagen liée aux tests antipollution. Ainsi, les questions relatives au développement durable et à l’éthique sont désormais des facteurs indissociables de la prise de décision des investisseurs, au même titre que les mesures traditionnelles de solidité financière. D’ailleurs, les recherches ont montré que les entreprises qui se classent bien en dessous de la moyenne en ce qui concerne les caractéristiques de bonne gouvernance sont particulièrement sujettes à la mauvaise gestion et risquent de ne pas être en mesure de tirer profit des opportunités commerciales(1).
En ce qui concerne le secteur étatique, les recherches s’accordent généralement à dire qu’il existe un lien étroit entre la croissance économique et la gouvernance nationale. Mais comment mesurer la qualité des institutions d’un pays et son influence sur la croissance ?
Indicateurs de gouvernance dans le monde :
1) Contrôle de la corruption
2) Efficacité du gouvernement
3) État de droit
4) Responsabilité
5) Qualité de la réglementation
6) Stabilité politique et absence de violence/terrorisme
Il existe un lien étroit entre la croissance économique et la gouvernance nationale
Qu’est-ce que la bonne gouvernance nationale…
Bien que le concept de gouvernance soit largement débattu, il n’existe pas de consensus solide autour d’une définition unique de la gouvernance ou de la qualité institutionnelle. Défendue par les économistes de la Banque Mondiale, la définition retenue fait référence à la manière dont les gouvernements sont sélectionnés, contrôlés et remplacés, à la capacité de ces derniers à formuler et à mettre en œuvre efficacement des politiques saines, à fournir des services publics, ainsi qu’au respect des citoyens et de l’État de la part des institutions qui régissent les interactions économiques et sociales entre eux.
Il est difficile d’évaluer la gouvernance. Les mesures sont nécessairement imprécises, ce qui exige une certaine prudence dans leur interprétation. Néanmoins, la Banque Mondiale a développé un indice, intitulé le « Worldwide Governance Indicators » (WGI), composé de six éléments clés, dont le contrôle de la corruption et l’État de droit(2).
Si le WGI indique que de nombreux pays ont progressé au cours des dernières années, il met également en lumière les difficultés rencontrées par beaucoup d’autres qui ne parviennent pas à s’améliorer, soulignant ainsi la persistance de défis importants. De plus, les données montrent que la bonne gouvernance n’est pas exclusivement présente au sein des économies avancées. En effet, plusieurs pays émergents, dont le Chili, le Botswana ou le Costa Rica, affichent des scores de gouvernance supérieurs à ceux de pays davantage industrialisés comme l’Italie ou la Grèce.
… et comment affecte-t-elle l’économie ?
Il existe une relation étroite entre la croissance et la gouvernance, car le développement économique est notamment un processus politique.
La corruption – première composante du WGI définie comme l’abus de pouvoir à des fins privées d’enrichissement – n’est pas un phénomène nouveau et existe aussi bien dans le secteur privé que dans le public. Dans ce dernier, elle est généralement liée aux activités de l’État, en particulier à son pouvoir discrétionnaire.Or, au cours des dernières décennies, le rôle du secteur public dans l’économie s’est accru, avec une forte augmentation du niveau des dépenses publiques, de la règlementation et des contrôles sur les activités économiques. De ce fait, le champ d’action possible de la corruption s’est élargi. Par exemple, les activités économiques nécessitant divers types d’autorisations se sont multipliées au fil des ans, donnant dans le même temps aux bureaucrates chargés de délivrer les permis l’occasion de percevoir des pots-de-vin. En outre, comme dans certains pays les entrepreneurs doivent consacrer une partie de leur temps à s’attirer les faveurs des fonctionnaires, cette mauvaise utilisation des ressources affaiblit la croissance économique, en plus d’avoir une incidence négative en matière de finances publiques(3).
Toutefois, la manière dont l’État fonctionne et exerce ses fonctions est tout aussi importante que la taille du secteur public pour déterminer le risque de mauvaise gouvernance. Ainsi, certains des pays les moins corrompus du monde, comme le Canada, la Finlande et les Pays-Bas, ont des secteurs publics parmi les plus importants.
Plus généralement, il existe de multiples mécanismes par lesquels la bonne gouvernance, tels qu’un système judiciaire indépendant, la protection des droits de propriété et la liberté de la presse, se traduit par une meilleure croissance économique à long terme. À titre d’illustration, la gouvernance est considérée comme propice à stimuler l’investissement en réduisant l’incertitude et en créant un environnement d’investissement attractif. Elle peut également favoriser la croissance économique en améliorant l’utilisation des ressources ou la gestion des finances publiques.
Une meilleure gouvernance contribue également à la lutte contre la pauvreté et à l’amélioration du niveau de vie. À cet égard, la recherche indique que lorsque la gouvernance est améliorée d’un écart-type, la mortalité infantile diminue de deux tiers et les revenus sont multipliés par trois à long terme(4).
En outre, la mobilité sociale, c’est-à-dire, la mesure dans laquelle les conditions socio-économiques à la naissance influencent le statut et la prospérité futurs d’une personne, s’accroît dans les pays où la gouvernance permet d’offrir des opportunités pour que leurs habitants s’accomplissent sur la base, notamment, de leur créativité et de leur éthique du travail. Ainsi, comme nous l’avons vu dans un autre numéro d’ESGnomics, la mobilité sociale tend à réduire les inégalités de revenus et, par conséquent, les effets négatifs de l’inégalité sur la croissance économique(5).
Enfin, la qualité de la gouvernance d’un pays semble être un meilleur indicateur que son niveau de revenu quant à sa capacité à faire face aux pandémies. En d’autres termes, un pays bien gouverné a plus de chances d’être préparé au risque de pandémie qu’un pays simplement riche(6).
La gouvernance est considérée comme propice à stimuler l’investissement en réduisant l’incertitude…
Comment améliorer la gouvernance ?
Il est illusoire de prétendre pouvoir présenter en seulement quelques lignes la manière dont la gouvernance peut être améliorée. Néanmoins, des systèmes judiciaires efficaces jouent un rôle crucial dans le maintien de l’État de droit, qui est un élément structurel important pour un environnement propice à l’investissement et aux affaires. La réduction de la durée des procédures judiciaires et l’amélioration des procédures de nomination, de promotion et d’évaluation des juges sont des exemples de mesures visant à soutenir l’indépendance des systèmes judiciaires et ainsi bonifier l’État de droit.
De son côté, la corruption est un phénomène complexe qui ne s’explique presque jamais par une cause unique. C’est pourquoi la lutte pour la réduire doit être menée sur plusieurs fronts. Mais toute stratégie réaliste doit considérer l’existence d’un jeu d’offre et de demande.
D’un côté, le corrupteur veut obtenir quelque chose du fonctionnaire et est prêt à payer un pot-de-vin pour cela. De l’autre, le fonctionnaire voudra être dédommagé pour ses efforts et les risques qu’il encourt. Et comme c’est le cas dans tous systèmes d’offre et de demande, le prix d’équilibre jouera un rôle majeur et, dans une large mesure, c’est l’État qui, par ses nombreuses politiques et actions, influencera cette interaction.
Bien que cela puisse étonner, une mauvaise gouvernance liée à la corruption peut également avoir un impact important sur le changement climatique. C’est un sujet que nous aborderons dans un prochain numéro d’ESGnomics.
Bien que cela puisse étonner, une mauvaise gouvernance liée à la corruption peut également avoir un impact important sur le changement climatique. C’est un sujet que nous aborderons dans un prochain numéro d’ESGnomics.
(1) S&P Global, “What is the “G” in ESG?”, 2020.
(2) Les IGW sont basés sur l’agrégation des perceptions de la gouvernance à partir de 31 sources de données différentes fournies par 25 organisations différentes, et fournissent donc une synthèse des opinions d’un groupe très large et diversifié de parties prenantes concernant la qualité de la gouvernance dans les différents pays.
(3) Vito Tanzi et Hamid R. Davoodi, « Corruption, Growth, and Public Finances », FMI, 2022.
(4) Kaufmann, D., Kraay, A. et Mastruzzi, M., « Governance matters 2009 : Learning From Over a Decade of the Worldwide Governance Indicators », 2009.
(5) Corak, M., « Income Inequality, Equality of Opportunity, and Intergenerational Mobility ». Journal of Economic Perspectives 27 (3), 2013.
(6) Indice de bon gouvernement de Chandler, 2022.