Thomas Planell, Gérant – analyste DNCA Investments.
En fermant la porte à de nouvelles hausses de taux, Jérôme Powell dégonfle le dollar (le Dollar Index cède près de 5% depuis fin octobre) et donne le coup d’envoi aux banques centrales émergentes pour s’engager avec moins de crainte pour leur devise sur la voie de la détente monétaire tant attendue par leurs économies. Au total, autour de la planète, plus de 150 baisses de taux pourraient se succéder l’an prochain. Les marchés, extatiques ne patientent pas et ouvrent d’un coup toutes les fenêtres de ce véritable calendrier de l’avent déposé par Powell au pied du sapin.
Derrière chacune : des performances enchanteresses. De 5% à la fin octobre, les taux américains à 10 ans plongent sous les 4% entraînant les actifs les plus sensibles : sur la même période le Russel 2000 et les small et mid caps du Stoxx Europe s’adjugent respectivement 20% et 15% contre 10% pour les blue chips européennes, les véhicules immobiliers cotés aux Etats-Unis grimpent de 24%, l’ETF ARKK Innovation rebondit de 52%, le MSCI Emerging Markets ex-China engrange 14%. Seule la Chine, à contre-courant, restent dans les limbes des performances boursières.
En novembre, les prix à la consommation en Chine ont baissé à leur rythme le plus fort depuis trois ans (-0,5%), emboîtant le pas aux prix à la production (-3% en rythme annualisé).
Le pays le plus peuplé de la planète tutoie presque la déflation. Pour compenser l’effondrement immobilier et le repli de la consommation domestique, la Chine investit dans les énergies renouvelables et joue la carte des exportations à bas prix. La manufacture du monde ouvre les soldes pour soutenir les volumes exportés qui dépassent en effet les attentes en novembre. Malgré la spirale infernale du secteur de la construction, les hauts fourneaux chinois tournent à plein régime pour maintenir l’emploi et l’activité.
Ils avalent les minerais en tout genre et de tous pays, raffinent le zinc (production en hausse de 11% en 2023 !) ou le nickel afin d’irriguer les marchés mondiaux d’alliages comme l’acier galvanisé ou inoxydable que le marché domestique n’est plus en mesure d’absorber. Résultat : le minerai de fer s’embrase (+35% depuis les points bas de mai) mais le prix de l’acier, le produit fini, est en baisse.
L’enjeu de cet acharnement à exporter à prix bas des produits électroniques, de véhicules électriques, des panneaux photovoltaïques et des matériaux de construction est le salut à court terme des 5% de croissance ciblés par le parti. En un mot, la Chine relance le dumping et exporte de la désinflation vers ses principaux partenaires commerciaux.
Un phénomène plutôt bienvenu pour ses partenaires commerciaux qui ont hâte de tirer un trait sur les politiques monétaires restrictives, synonymes notamment en Asie du Sud-Est et surtout en Amérique latine de croissance sous pression. Les Etats-Unis quant à eux profitent d’une économie résiliente au regard de l’action de la FED : 8,9% de croissance nominale au troisième trimestre ! Certes, la détérioration de l’indice des surprises économiques de Citigroup est clairement visible. Mais au lendemain du discours dovish de Jay Powell, les ventes au détail, largement meilleures que prévues et les inscriptions au chômage en dessous des attentes semblaient ôter au Président l’argument d’un risque de récession pour justifier sa posture.
Qu’importe, la FED continuera probablement de sous-estimer la croissance à chaque trimestre, comme elle l’a fait depuis le début du Covid. D’ores et déjà, l’élection présidentielle est hantée par le retour vengeur de Trump. Honni des médias traditionnels autant que des réseaux sociaux qui font leur possible pour abattre la plateforme subversive Parler, le candidat n’aura pas les faveurs de celui qu’il a traité d’irresponsable lorsque la courbe des taux s’inversait en 2019. Biden doit donc aujourd’hui se sentir soulagé de voir Powell s’aligner avec lui au chevet de l’économie en cas de coup de froid en 2024. Même si au fond, pour le président de la FED, la vérité est ailleurs : à quoi bon laisser le marché composer avec des taux réels aussi loin de la neutralité quand les anticipations d’inflations reviennent sur la cible des 2% ?
Si la FED semble désormais suivre un process réglé comme du papier à musique (taux réels contre anticipations d’inflation), la BCE joue toujours la même partition improvisée, et ne cède pas aux langueurs des violons de la baisse des taux. L’éventualité n’a même pas été abordée par le Conseil, tranche Christine Lagarde, qui reste dépendante aux données… Sachant que comme l’admet l’institution, l’inflation en zone euro continue de céder rapidement du terrain (2,9% en novembre contre 3,6% en rythme annualisé pour la mesure core) ?
Visiblement, c’est le coût unitaire du travail qui préoccupe la BCE : il accélère (+5,3% au troisième trimestre). La faute aux salaires (qui commencent toutefois à décélérer) mais surtout, à la baisse de la productivité. Et sans avoir la preuve que les entreprises absorbent le renchérissement du travail sans monter leurs prix, c’est-à-dire qu’elles acceptent une baisse des marges, Christine Lagarde n’est pas convaincue d’un repli durable de l’inflation.
Si la BCE peut paraître en retard, que dire de la Banque du Japon qui songe à peine à s’aventurer hors du Tokaido des taux d’intérêts négatifs ? Ce « sentier de la mer de l’est » que semblent avoir définitivement quitté les pays du soleil couchant…
Quand bien même l’heure du pivot est arrivée, il faudra donc raison garder et savoir tempérer l’excitation des marchés, qui anticipent déjà six baisses de taux de la FED l’an prochain. Les fêtes de fin d’année seront donc une occasion bienvenue de prendre du recul après une année particulière à bien des égards. La retraite est une composante essentielle de la philosophie zen du bouddhisme nippon. Elle guide aussi le guerrier. C’est d’ailleurs par ce court poème « De la confusion du monde, à quelle distance se tient le cerisier sauvage ? » que Jocho Yamamoto entame son Hagakure, ouvrage qui guide le Samouraï sur la voie du Bushido…