Thomas Planell, Gérant – analyste DNCA Investments.
Quel rapport entre une pomme et la politique monétaire ?
La gravité, ou plutôt, Sir Isaac Newton, son théoricien le plus célèbre.
Le génie britannique de la physique n’a pas seulement posé les bases permettant à Henry Cavendish de mesurer la constante G de la loi universelle de la gravitation de Newton.
Il a aussi été Maitre de la monnaie de la Couronne.
Sa mission : lutter contre la contrefaçon qui sévit comme la peste sur l’économie du pays, jusque dans les salles de la « Royal Mint » où certains employés rognent alors le pourtour des pièces émises pour accaparer d’infimes quantités d’or.
Fondée quatre cents ans après la construction de l’Hôtel de la Monnaie, la Bank of England a d’abord été l’organe de la gestion d’une autre crise financière qui frappait le pays. En guerre contre la France, le Royaume manquait alors cruellement d’or. L’institution fut fondée pour permettre à la Couronne d’emprunter en émettant ses fameuses « banknotes« …
Aujourd’hui, elle fait face à une nouvelle crise. Toujours englué dans le marasme du Brexit, le pays est au bord du précipice de la stagflation. L’inflation core, qui campe au-dessus des 7%, a surpris à la hausse cette semaine. L’archipel semble insularisé de la vague d’accalmie dont bénéficient l’Europe et les Etats-Unis depuis quelques mois. Le ralentissement économique britannique ne suffit pas à éteindre le grand incendie.
En conséquence, la Bank of England n’a pu s’offrir le même luxe que la FED la semaine précédente. Contrainte par la réalité des chiffres elle monte ses taux au plus haut depuis 2008, entérinant le programme de resserrement monétaire le plus violent depuis les années 1980, au grand dam du marché immobilier. Les taux d’emprunts hypothécaires devraient filer au-dessus des taux directeurs désormais attendus autour de 6,25%…
La BoE n’est pas seule : quelques 1150 km au nord-est de la Mer du Nord, la Norges Bank a également décidé de poursuivre son programme de hausse des taux, contrairement aux anticipations des marchés dont l’optimisme de la semaine précédente s’étiole.
Après déjà 90 hausses de taux dans le monde en 2023, le doute subsiste : l’inflation peut-elle enfin plier sous l’effet du puit gravitationnel des 470 hausses de taux des deux dernières années ? Ou faut-il impérativement ajouter, comme dans la loi de Newton, une seconde masse à l’équation : celle de la récession ?
Dans le sillage de Joachim Nagel, de la Bundesbank, Jerome Powell a concédé devant le Congrès que le combat contre l’inflation core, tenace autour de 5% aux Etats-Unis et en Europe resterait une épreuve de longue haleine. Epreuve qui se mène malheureusement au son du clairon du chômage et de la récession. Face au retour d’une rhétorique hawkish, les marchés s’alignent désormais dans leurs attentes avec les dot plots des gouverneurs de la FED, tandis qu’en Europe se renforcent les probabilités de hausse des taux par la BCE en juillet et en septembre.
C’est la pesanteur de ces interrogations, qui ramène à nouveau les marchés sur terre, alors que vendredi, le repli inattendu des indicateurs PMI en zone euro et leur contraction plus marquée que prévu au Royaume-Uni pointaient vers un ralentissement du secteur manufacturier, mais aussi des services auxquels les économies occidentales doivent leur résilience.
Absconses disciplines que l’analyse économique et la conduite de la politique monétaire. En mesurant la constante gravitationnelle, l’expérience de Cavendish a permis aux astrophysiciens de calculer la masse de corps célestes à plusieurs années-lumière de la terre… Malheureusement, la matière avec laquelle doivent composer les banquiers centraux est formée d’une science moins exacte !