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Thomas Planell, Gérant – analyste DNCA Investments.

Malgré l’imminence de la fin du programme de hausse des taux de la FED, le déclin des attentes de croissance et d’inflation (les swaps d’inflation cinq ans dans cinq ans s’inscrivent sous les 4%, contre près de 6% encore au dernier trimestre 2022), les taux nominaux s’embrasent. Ils propulsent le rendement réel du 10 ans américain, qui s’était retranché autour de 1% à la fin du premier trimestre de l’année vers les 2,4%, un plus haut depuis la crise financière de 2008. ​

Le déficit américain, la crainte d’une demande étrangère en déclin (notamment de la Chine, dont le portefeuille de bons du Trésor américain serait passé de 1100 à 800 milliards de dollars depuis début 2022 – contre 1300 milliards au pic en 2013), les attentes d’un pivot hawkish de la Banque centrale du Japon (les rumeurs selon lesquelles elle était intervenue sur le change lundi semblent cependant avoir été démenties) mettent la pression sur le marché obligataire américain.

Pour la première fois dans l’histoire de l’Amérique moderne, on s’engage sur une troisième année consécutive de pertes sur les investissements en bons du Trésor qui ne laissent pas indemne le gisement mondial de dette d’entreprises investment grade (notée BBB- au minimum). Agrégé par l’indice Bloomberg global, il affiche désormais une performance négative depuis le début de l’année, à la suite d’un repli de plus de 5% depuis les points hauts de juillet. Il n’est pas aidé par les mouvements de courbe violents : la volatilité sur des taux renoue avec les niveaux affolants de 2022.

Etonnamment, celle des actions reste contenue. En dehors de cas spécifiques (l’avertissement sur les flux de trésorerie d’Alstom qui cédait 37% mercredi par exemple), la volatilité des indices actions n’est pas autant affectée par celle des taux que l’an dernier.

La cause est peut-être à rechercher du côté d’un changement de mise en place des couvertures dans les salles de marchés des grandes banques. Elles semblent couvrir leur expositions clients par des options à maturité journalière, afin de limiter leur risque overnight. En résulte un positionnement vendeur de gamma (vitesse à laquelle une option devient de plus en plus sensible) moins aigu qu’autrefois, insuffisant à accélérer les phases de baisse… au détriment d’une parfaite couverture de l’ensemble de la nappe de volatilité par les contreparties bancaires. Difficile de présager des conséquences en cas d’occurrence d’un cygne noir. Mais sans un tel choc exogène et imprévisible, le sentiment des investisseurs, aussi négatif soit-il, ne parvient pas à faire plonger les indices de plus de deux points de pourcentage par séance négative.

Néanmoins, le déclin des indices actions s’installe, lentement mais surement depuis le début du mois et la décorrélation s’accentue entre les cours boursiers en repli et les perspectives de croissance bénéficiaire en Europe encore portées au sommet par des attentes peut-être trop optimistes. ​

L’optimisme des analystes, focalisés sur les facteurs spécifiques, ne semble plus convaincre les investisseurs, à nouveau obnubilés par les risques topdown. Au nombre desquels, en premier lieu, figure ce resserrement inattendu et violent des conditions financières, orchestré de facto par le marché et auquel la FED, pour l’instant, ne semble pas totalement disposée à s’opposer. Le marché, ce Deus Ex Machina des conditions financières, risque-t-il de casser la machine économique au-delà de ce que Jerome Powell, tel un démiurge détrôné, ne peut accepter ? Peut-il le cas échéant menacer le soft landing et amplifier le risque de récession en Europe ? Peut-il plus rapidement que prévu produire ses effets sur les performances commerciales et les carnets de commandes, qui ont jusque-là, mieux résisté que prévu ?

C’est possible : des taux élevés pèsent sur le financement du fonds de roulement. Ils invitent les sociétés productrices mais aussi les directeurs d’achats, cotés clients, à tirer sur leurs stocks sans les reconstituer, ce qui n’augure pas d’un rebond de l’activité. N’est-ce pas ce que l’on observe aujourd’hui sur le marché du cuivre par exemple, où les inventaires visibles, certes toujours historiquement faibles, se reconstituent, au fur et à mesure que traders, producteurs et participants industriels libèrent des stocks sur les places de marchés pour réduire leur levier financier, de plus en plus onéreux, et reconstituer des liquidités ?

La réaction des banques centrales est délicate à anticiper, ce qui ajoute à l’anxiété. Face au vœu pieux de l’orthodoxie monétaire de Jerome Powell pourraient se lever les boucliers des candidats à l’élection présidentielle de 2024. Ils ne manqueront pas d’évoquer le coût supporté par les épargnants (taux d’emprunts hypothécaires au plus haut depuis 2000) ou l’Etat (le service de la dette -652 milliards de dollars- a cru de 25% au cours des 9 premiers mois de 2023). Cette vision démagogique risque d’occulter la réalité du chemin qu’il reste à parcourir pour normaliser le passif de l’expansionnisme monétaire. Malgré la liquidation naturelle du portefeuille (1 trilliard de dollars), le bilan de la FED représente toujours près d’un tiers du PIB américain, contre 51,6% en Zone Euro ! Le repli de l’inflation est enclenché mais des facteurs de risque conjoncturels peuvent essaimer à tout moment comme le dérapage des prix des matières premières (notamment le pétrole très récemment) ou le grippage de la chaine logistique mondiale (les difficultés du canal de Panama – 6% des échanges mondiaux y transitent – fortement perturbé depuis cet été par la sécheresse déclenchée par El Nino rappelle l’épisode Evergrande).

Plutôt que de se demander si le plus dur a été fait, le marché change son fusil d’épaule et se pose désormais la question de savoir jusqu’où les taux peuvent remonter. Un raisonnement anxiogène et autoréalisateur qui ne nous aide pas à déterminer si le paroxysme de la hantise a été atteint. Le passé risque d’offrir une aide limitée tant les compteurs de la dette et des déficits des pays développés pointent vers des terra incognitae de l’endettement public. Si dans le Pacifique, les perturbations d’El Nino devraient sévir jusqu’en février 2024, le temps des turbulences financières, lui, risque d’être un peu plus long…

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