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Laurent Denize, Co directeur des investissements, ODDO BHF AM.

La période 2022/2023 a été marquée par une remontée fulgurante des taux monétaires passant de 0% à 5% en quelques mois aux Etats-Unis. Cependant, le marché obligataire n’a pas suivi à la même vitesse puisque les taux américains à 10 ans s’affichent désormais autour de 3,5%. Les investisseurs envoient ainsi le signal qu’une récession est proche. Mais peut-on vraiment parler de signal ?

Afin de pouvoir répondre à cette question, il est essentiel de s’interroger sur la qualité des signaux historiques envoyés par les marchés de taux.

L’inflation et la courbe des taux restent-ils de bons signaux pour prédire l’évolution des taux à long terme ?

Le signal de l’inflation

La dernière flambée des prix du pétrole, après l’annonce de l’OPEC+ de réductions de production, montre à quel point les marchés obligataires peinent à évaluer les chocs d’offre, renforçant les récents avertissements des banques centrales selon lesquels l’inflation est loin d’être contenue. Les points morts d’inflation anticipent une inflation annuelle aux États-Unis inférieure à 3 % en moyenne au cours de l’année à venir, alors même qu’elle se maintenait sur des niveaux très élevés de 7,8 % au cours des 12 derniers mois. Sachant que la hausse des taux des banques centrales n’a que peu d’effet sur la partie exogène de l’inflation, le paradoxe actuel entre stimulus fiscaux et durcissement monétaire complique encore la tâche des économistes et des investisseurs à modéliser la trajectoire de l’inflation, aussi bien dans son caractère soi-disant transitoire, que dans sa vitesse de décélération. De manière évidente l’inflation reste, avec la croissance, l’un des paramètres clés de l’estimation du niveau des taux à long terme.

Le signal de la courbe des taux

D’autres signaux obligataires autrefois fiables semblent également altérés. Les courbes de rendement inversées et les contrats de swap qui, après avoir anticipé fin février deux hausses de taux directeurs aux Etats-Unis pour 2023, prévoient désormais trois baisses. Les banques centrales ont provoqué une hausse artificielle du prix des obligations d’État pendant les années d’assouplissement quantitatif. Une hausse soutenue par des réglementations visant à empêcher une répétition de la crise de 2008 en forçant les banques à en détenir des quantités considérables. Les montants ainsi déployés ont démesurément gonflé une demande captive de la part des fonds de pension, des assureurs, des fonds indexés et même des réserves de change banques centrales.

Depuis plus d’un an, les actions des banques centrales s’inversent à un rythme jamais observé depuis les années 1980. Pourtant, même après la hausse récente des rendements, le prix des obligations est encore dopé par cette demande inélastique. À l’époque, le levier des investisseurs était très réduit. Depuis, la réglementation ou le manque de réglementation a autorisé des multiples déraisonnables pour un même capital engagé.

Le risque est donc un dégonflement de cette bulle. Même si la probabilité d’un soft landing a fortement diminué, l’économie mondiale devrait éviter une forte récession. Dans ce cas, il est peu probable que les taux à 10 ans restent à leurs niveaux actuels, à moins que l’inflation sous-jacente ne s’effondre, ce qui n’est pas notre scenario central. En substance, les taux longs américains sont trop bas. Le niveau d’équilibre est plus proche des 4%que des 3%.

Quel positionnement adopter ?

Taux

Avec la hausse récente des taux courts, se positionner sur des taux à 1 ou 2 ans des deux côtés de l’Atlantique nous parait un excellent placement …ajusté du risque. Si une forte récession se concrétise, les banques centrales n’auront d’autre choix que capituler et baisser les taux directeurs. La partie courte de la courbe en sera la principale bénéficiaire. Seul un scenario de déflation pousserait les taux longs beaucoup plus bas. Nous n’en sommes pas là. Nous vous recommandons donc de limiter votre duration obligataire sur la partie longue de la courbe et de repositionner vos investissements sur la partie courte.

Crédit

Sur le crédit, la situation est complexe. Le paramètre duration est très important pour la partie «obligations de qualité» mais contribue peu pour les obligations à haut rendement. Faut-il pour autant privilégier le High Yield dans cette configuration ? Non mais pour d’autres raisons. L’instabilité financière récente va limiter l’offre de crédit bancaire et faire remonter les taux de défaut. Les sociétés « zombies » vont subir un fort effet ciseau, une pression sur les marges et une hausse du cout de financement qui pour certaines d’entre elles va être fatal. Nous privilégions donc le segment Investment Grade.

Actions

Si les taux longs remontent, la valeur actuelle des cash flows actualisés va baisser, toutes choses égales par ailleurs. Ce n’est pas un bon présage pour les actions, sauf à observer une hausse des résultats. Telle n’est pas aujourd’hui la tendance actuelle. Un pincement des marges va se mettre en place sur l’ensemble des secteurs avec le tassement de la consommation en cours. Moins de surépargne, une baisse du pouvoir d’achat avec une inflation cœur résiliente, et un marché du travail qui devrait lentement se normaliser composent les principaux ingrédients d’une recette plus amère à venir pour les entreprises. Il convient de privilégier les actions d’entreprises qui génèrent suffisamment de croissance pour limiter l’impact des taux. En ce sens, le secteur technologique a de vraies vertus.

Conclusion

La patience est une vertu. La bonne nouvelle est que le contexte actuel vous permet aujourd’hui de gonfler votre capital grâce au portage sur des produits « courts ». À 3% ou 5% en fonction des zones géographiques, le rendement offert ne couvre pas encore l’inflation mais fait plus que limiter la casse. Et sans risque. Pas si mal pour quelques semaines, avant d’observer enfin un vrai signal.

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