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Paul Reuge, Gestionnaire de R-co Thematic Real Estate Rothschild & Co Asset Management

Les faillites de Silicon Valley Bank et de Crédit Suisse ont réveillé le spectre d’une crise bancaire provoquant une hausse des spreads(1) sur les marchés du crédit et, parallèlement, une baisse des valorisations boursières des foncières.

Bien que l’intervention des régulateurs ait permis de juguler rapidement la crise de part et d’autre de l’Atlantique, il reste encore un certain nombre d’incertitudes, notamment sur les risques que font pesés les refinancements à venir des prêts immobiliers commerciaux dans un contexte de remonté des taux et de crise pour certains marchés immobiliers. Ce constat est d’autant plus vrai en Amérique du Nord ou les banques régionales cumulent une exposition sur les prêts en immobilier commercial pouvant dépasser 30 % (exposition directe et indirecte)(2).

En Europe, la situation est moins préoccupante du fait d’une exposition mesurée des banques (9 % des prêts en moyenne selon l’autorité bancaire Européenne). En outre, les conditions de prêts octroyés post-2015 font état de ratios prudentiels bien plus conservateurs que lors de la grande crise financière avec des LTV(3) inférieures à 50 %(4), laissant une marge de sécurité importante en cas de retournement des marchés :

 

Le risque immobilier pour le système bancaire européen semble donc contenu. Pour autant, les banques vont, en toute vraisemblance, réduire ou limiter leur apport de liquidité au secteur, hors, elles restent la pierre angulaire des financements immobiliers. À titre d’exemple, le développement exponentiel des financements directs observés ces derniers années atteint 200 milliards d’euros mais ne représente qu’un vingtième des financements bancaires(5). En conséquence, si les prêts bancaires devraient vraisemblablement être refinancés (exposition constante), la question se posera pour les nouvelles lignes remplaçant, par exemple, des financements obligataires largement utilisées par les foncières depuis 2015. Les émissions qui représentaient 1 % du marché Investment Grade(6) en euro en 2013 sont passées à 6 % en 2022(7). À fin janvier, Bank of America estime un total de 27 milliards d’euros de souches obligataires “immobilières” qu’il va falloir refinancer dans les années à venir. Les obligations représentent en moyenne un peu plus de 40 % du passif des foncières suivies par les prêts bancaires (35 %)(8).

 

Les foncières ont toutefois du temps pour préparer leurs refinancements. Le pic du “mur de la dette” est attendu pour 2024-2025, mais si l’on tient compte des lignes de crédits non tirées, ce serait plutôt 2025-2026. Dans un scénario stressé, les foncières peuvent encore couper leur distribution et gagner une année supplémentaire :

 

Ce temps devrait permettre aux sociétés d’attendre de dégel des marchés de l’investissement immobilier et procéder à des cessions, évitant de “rincer” les actionnaires en réalisant des augmentations de capital dilutives, vus les niveaux de valorisations actuels (décote moyenne de plus de 40 %). L’appétit des acheteurs pour les actifs conservant de bons fondamentaux est toujours présent, la stabilisation des politiques monétaires (point pivot) et une baisse des prix entre 10 % et 20 % (du pic au creux) devraient l’aiguiser. L’annonce récente de deux transactions par Vonovia pour un total de 1,5 milliards d’euros en est un bon exemple. La foncière a cédé un portefeuille de 560 millions d’euros au groupe de conseil en immobilier d’entreprise CBRE pour un rendement brut légèrement supérieur à 4 %, soit une décote de 10 % sur le prix expertisé en fin d’année, alors que la décote sur actif brut valorisée en bourse est de -30 %(9). La seconde transaction est la cession d’une participation minoritaire (un tiers) d’un portefeuille de 3 milliards d’euros. La décote induite sur actif brut est, cette fois, “facialement” plus proche de la décote boursière, pour autant la structuration de l’opération (option de rachat, différence entre droits économiques et prorata de la participation, etc.) rend difficile sa transposition au reste du patrimoine pour les experts immobiliers. Elle permet, en revanche, dans un moment critique, de montrer aux investisseurs que la société peut avoir accès à des fond propres rémunérés à 8 % contre 12 % sur les marchés financiers(10).

Ce sont principalement les actifs faisant face à des changements structurels (télétravail ou e-commerce) “non prime(11)” pour lesquels il sera difficile de faire revenir des acheteurs, ou alors sur des valorisations fortement réduites. Dans cette catégorie se trouvent, par exemple, des bureaux obsolètes (passoires thermiques) dans des zones secondaires affectées par le télétravail ou des commerces sur des formats en perte de vitesse dans des zones de chalandises déclinantes.

Analyse du risque en liquidité des différents marchés immobiliers

 

(1) Ajustement déjà réalisé durant la crise du Covid-19

Source : Rothschild & Co Asset Management, mai 2023

Conclusion

La décote actuelle cristallise la baisse des prix sur les marchés immobiliers mais surtout, par son ampleur, le risque d’augmentations de capital dilutives pour les sociétés trop endettées. La maturité du passif des foncières en Zone euro leur laisse cependant un horizon de temps raisonnable pour rembourser les dettes en procédant à des cessions. L’exemple des ventes déjà réalisées dans un contexte de marché de l’investissement à l’arrêt est encourageant, le retour progressif des transactions devrait permettre aux marchés financiers de mieux appréhender le risque de refinancement et ainsi de limiter la décote.

(1) Écart de rendement entre une obligation et un emprunt de maturité équivalente considéré comme “sans risque”.

(2) Source : Moody’s, mai 2023.

(3) Loan to Value : ratio entre le montant du prêt et la valeur du bien.

(4) Source : ODDO BHF, mai 2023.

(5) Sources : Prequin, BCE, Goldman Sachs, mai 2023.

(6) Titre de créance émis par des entreprises ou États dont la notation est comprise entre AAA et BBB- selon l’échelle de Standard & Poor’s.

(7) Source : Bank of America, mai 2023.

(8) Source : Kempen, mai 2023.

(9) Source : Rothschild & Co Asset Management, mai 2023.

(10) Source : Sociétés, mai 2023.

(11) Bâtiments qui ne sont pas aux dernières normes ou ne bénéficiant pas d’un emplacement central.

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