Pierre Pincemaille, Secrétaire général de la Gestion DNCA Investments.
Les pays du Sud de l’Europe, les infames PIGS (Portugal, Italie, Grèce, Espagne) synonymes de crise de la Zone Euro il y a plus d’une décennie, sont devenus les locomotives économiques actuelles de la région. C’est dans ce contexte inédit que la thématique de consolidation bancaire transfrontalière est de retour, 16 ans après l’opération de rachat de Fortis par BNP qui a permis la création de la première banque de la zone. C’est maintenant au tour d’une banque d’un pays périphérique (l’italien Unicredit) de s’attaquer au deuxième établissement allemand (Commerzbank) !
La première a fait preuve d’opportunisme, profitant d’un placement de l’Etat Allemand pour rentrer au capital de Commerzbank à hauteur de 4.5%. Elle est ensuite directement intervenue dans le marché pour augmenter sa participation. Si on y ajoute l’utilisation d’options, Unicredit est désormais actionnaire à hauteur de 21%. À la suite de cette entrée fracassante au capital de son concurrent, le directeur général de la banque italienne Andrea Orsel ne s’interdit rien, et surtout pas la prise de contrôle totale (« tous les scenarios sont ouverts »).
Les arguments avancés pour une telle opération sont logiques : accélérer la consolidation du marché allemand qui reste très fragmenté et générer des synergies avec sa propre filiale locale (HypoVereinsBank). Mais les obstacles de taille ne manquent pas : opposition politique allemande (il est fort probable que le gouvernement à venir aura la même posture qu’Olaf Scholz), absence d’union bancaire européenne complète et potentielle surcharge en capital liée à la taille de bilan.
Il y a beaucoup de discussions parmi les observateurs pour savoir si le gouvernement peut efficacement bloquer cette opération, et sur quelle base. En attendant, celui-ci a suspendu son programme de vente, avec une participation restante de 12%. La réaction italienne à l’hostilité politique allemande ne s’est pas fait attendre : « La politique européenne doit laisser les marchés décider de l’avenir UniCredit-Commerzbank », a déclaré l’ancien Premier Ministre Enrico Letta.
La BCE, associée au superviseur allemand (BaFin), va logiquement avoir le rôle d’arbitre dans le bras de fer qui s’engage entre les deux établissements bancaires. Alors que l’examen en cours, la présidente de la BCE a déjà donné son avis, sans circonlocution, lors d’une audition devant le Parlement Européen : « Des fusions transfrontalières de banques capables de rivaliser en termes de taille, de profondeur et de gamme avec d’autres institutions dans le monde, y compris les banques américaines et chinoises, sont, selon moi, souhaitables ». Des arguments qui font mouche au moment où Elon Musk, à la tête de son « ministère de l’efficacité » (Departement of Government Efficiency), va probablement s’atteler à tailler dans la réglementation bancaire américaine.
Les publications trimestrielles des deux établissements ont été l’occasion d’une passe d’armes par communiqués interposés. Le dirigeant d’Unicredit considérant que l’entité résultant du rapprochement « pourrait rivaliser plus efficacement sur son marché intérieur et au-delà ». En contrepoint, Bettina Orlopp, la toute nouvelle directrice générale de Commerzbank plaide sans surprise pour le statuquo, avec des initiatives internes qui « portent de plus en plus leurs fruits ». Réaliste, Andréa Orsel se prépare à une guerre d’usure : il a annoncé qu’une décision concernant le lancement (ou pas) d’une OPA serait prise « d’ici à un an ».
En attendant cette échéance, Andrea Orsel ne reste pas les bras croisés : il a décidé de lancer une offre publique d’échange sur son concurrent italien Banco Populare di Milano ! Changement drastique de stratégie ou coup de billard à plusieurs bandes pour faire baisser la pression politique ainsi que le cours de bourse de sa proie ? Seul l’avenir nous le dira …