Thomas Planell, DNCA Investments.
La BCE ne ménage pas les nerfs des marchés au moment où la volatilité semble amorcer un retour.
Comme prévu, statu quo sur les taux en juillet.
Mais quelques doutes évoqués juste après la dernière intervention de Christine Lagarde laissent penser que l’institution n’est pas totalement à l’aise avec une baisse supplémentaire cette année. Les marchés révisent légèrement leurs attentes en septembre et anticipent désormais à 83% la probabilité d’une action de la BCE.
Dans l’ensemble, l’inflation a ralenti en juin mais elle reste soutenue dans les services.
La raison ? Le plein emploi en Europe : 6,4% de chômage seulement (au plus bas depuis la création de la monnaie unique) qui s’accompagne d’une montée du taux de participation.
L’embellie des salaires réels demeure intacte (la croissance des salaires négociés est ressortie à +4,7% au premier trimestre). C’est une bonne nouvelle pour la consommation domestique. Mais elle contribue à nourrir l’inflation dans les services (+4,1% en juin), où le poids de la masse salariale est prépondérant. Quelques signes de décélération émergent ici et là. Les ouvertures de postes commencent à ralentir. Les entreprises bénéficient d’un environnement moins tendu quand elles cherchent à recruter. Certaines d’entre elles commencent à absorber l’inflation salariale dans leurs marges plutôt qu’elles ne la transmettent à l’économie : c’est un soulagement pour Christine Lagarde, mais il faut que la tendance se confirme. La BCE aborde donc le second semestre avec la plus grande des prudences. Attentive aux données, elle observe d’un coin de l’œil les agissements de la FED, que Trump met en garde contre une baisse précipitée des taux en septembre dont il craint certainement qu’elle donne un avantage à son concurrent.
Ayant miraculeusement échappé à la mort, « Reborn Trump », à présent auréolé d’une mystique de martyr, galvanise sa base électorale. Touché par la grâce d’une nouvelle « destinée manifeste », le parti républicain semble professer sa foi en la doctrine du « conservatisme national » du ticket présidentiel, emmené par un ex-Président qui jouit de la popularité d’un chef de guerre et du vindicatif sénateur Vance. Pour le parti démocrate, fébrile, fragilisé par la remise en cause de son leadership, le risque de perdre la Maison Blanche et les deux chambres est réel : le plus dur de la crise est probablement à venir.
Pendant ce temps, les marchés, nerveux, composent avec des données contradictoires. L’emploi se détériore aux Etats-Unis (les derniers chiffres sont peut-être affectés par l’ouragan ?), sous le regard scrupuleux de la FED. Mais les mises en chantier, la production industrielle, l’utilisation des capacités, les ventes au détail ou encore l’enquête des perspectives des affaires de la FED de Philadelphie semblaient surprendre favorablement les attentes cette semaine. Néanmoins, depuis la fin du second semestre, la tendance des surprises économiques reste fermement mal orientée. Les investisseurs continuent de penser que le scénario du soft landing se réalisera (2 chances sur trois) d’après les enquêtes de Bank of America, convaincus à 100% qu’il permettra à la FED de baisser ses taux en septembre. Mais la tension devient palpable.
Seule véritable certitude, les Etats-Unis semblent durablement engagés sur la voie du bras de fer commercial avec leurs adversaires. Biden, qui n’a détricoté aucune des mesures protectionnistes de Trump, repart à l’offensive en s’attaquant aux groupes de semi-conducteurs récalcitrants. Gare à ceux qui continuent d’échanger leur technologie ou dissimulent des armes de micro-gravures massives en Chine… Il n’en coûtait pas moins de 14% au champion européen ASML en deux jours malgré les ventes record de TSMC, un de ses principaux clients. Les autres géants du secteur, comme Nvidia, également sous pression et dont les variations quotidiennes approchent facilement les 100 milliards de dollars de capitalisation perdus ou gagnés, approchent de la date fatidique de leur publication trimestrielle. Les attentes de croissance et les valorisations étant féroces, les déceptions peuvent être impitoyablement sanctionnées dans le contexte actuel.
Trump, s’il est élu, cherchera probablement à porter à la Chine le coup de grâce. Sa batterie de nouvelles barrières douanières pourrait coûter 2 points de croissance à l’Empire du Milieu, selon la recherche économique d’UBS. Au lendemain de chiffres de croissance décevants, plombés par la consommation domestique, le compte rendu du plenum ne filtrait encore qu’au rythme d’un compte-gouttes monotone. Le parti ne s’est pas prononcé en faveur d’un stimulus d’envergure et semble avoir éludé la question de la crise immobilière. L’exercice politique semble creux. Celui du Politburo en fin de mois concentre donc désormais les espoirs en souffrance. Dans cette attente, les matières premières industrielles souffrent.
Entre ralentissement économique et « trumpflation », la courbe des taux américains balance… Tantôt dans le sens de la repentification, tantôt dans le sens contraire, chahutant les indices boursiers, contredisant les violents mouvements de rotation entre les différents facteurs, ou du Nasdaq 100 vers le Russell 2000.
Le S&P500 renoue avec la volatilité, clôturant deux séances de baisse de plus de 1% d’affilée. Son indicateur de volatilité implicite, le VIX, remonte à 16, au plus haut depuis avril, mais bien en deçà des niveaux d’octobre dernier. La demande de investisseurs pour le crédit reste excessivement supérieure à l’offre, comprimant pour l’instant les spreads des gisements high yield dont les écartements sont souvent de mauvais augure pour les marchés actions. Ce n’est pas encore l’heure de la tempête mais l’appréhension semble peu à peu s’installer. « S’il ne pleut pas aujourd’hui, c’est qu’il pleuvra demain » dit l’adage irlandais… Les investisseurs vont-ils changer d’état d’esprit et affronter les incertitudes avec plus de prudence cet été ?