Thomas Planell DNCA Investments.
Entre 1933 et 1944, Roosevelt envoutait les ondes par ses célèbres « causeries aux coins du feu », discours radiophoniques, familiers, parfois intimes, distillés suavement le soir à son électorat. Aujourd’hui, c’est au tour de Jerome Powell de s’exercer à ces « fireside chats », discussions prétendument informelles. Le ralentissement dans les services lui confirme que le feu de l’inflation est contenu. Attention toutefois aux braises incandescentes du secteur industriel qui pourraient rallumer le foyer de la spirale inflationniste. Elles sont ravivées par le tison de l’Inflation Reduction Act et le soufflet de l’économie de guerre dans laquelle s’est engagée Biden. L’indice ISM, vigie du sentiment des industriels, a percuté les marchés d’un message puissant cette semaine. Les fonctions achats des entreprises entrevoient déjà un retour à l’expansion de l’activité !
C’est d’autant plus intéressant qu’un phénomène similaire s’observait quelques jours avant dans les fourneaux de l’économie chinoise. L’enquête de sentiment industriel officiel (PMI) rebondit à un plus haut d’un an… Et même jusqu’en Europe, on soupçonne ici et là les premières étincelles d’une meilleure fortune industrielle. Assistons-nous à la fin du rouleau compresseur de 18 mois de déstockage ?
C’est le message que semblent envoyer les marchés de matières premières. Le Bloomberg commodity Index traverse la ligne de tendance baissière qui le contient depuis deux ans. Le cuivre flirte avec les 9400 dollars. L’aluminium franchit les 2400 dollars la tonne. Les métaux industriels visitent des cours qu’ils n’avaient plus revu depuis 14 mois, poussés dans leur échappée par les perspectives de restockage et les rapports de recherche qui évoquent l’appétit gargantuesque des « data centers » de l’intelligence artificielle en métaux conducteurs. La tonne de cacao se négocie presque à cinq chiffres et emporte avec elle le café. Euphorie spéculative ? Pas entièrement : les commodités dont les fondamentaux sont déprimés, comme le minerai de fer, plombé par le marasme immobilier chinois, ou le nickel, ne sont pas entourés. Le marché distingue donc le bon grain de l’ivraie. Le risque de régionalisation du conflit israélo-libano-palestinien soutient le pétrole WTI qui s’approche des 90$. Ce rebond des matières premières entame une remontée, à contrecourant du fleuve mouvementé des chiffres d’inflation qui baissent un peu plus vite que prévu, en Europe notamment !
Pour l’instant, ces données offrent à la BCE de la marge de manœuvre pour s’engager sur la baisse des taux. D’autant que Christine Lagarde s’intéresse davantage à la hausse des salaires qu’au prix du zinc. Et de surcroît, le gaz, notre Némésis énergétique, ne vaut pas plus cher qu’avant la guerre ! Si la baisse des taux s’accompagne d’une reprise synchrone de la croissance mondiale, alors les planètes devraient être alignées pour les sociétés européennes. Après un millésime déplorable au quatrième trimestre (les performances bénéficiaires n’avaient pas été aussi mauvaises par rapport aux société américaines depuis 2020), les marchés s’enthousiasment d’un rebond des bénéfices de 4% pour les trois premiers mois de 2024. Attention toutefois, les investisseurs ne s’encombrent pas des preuves tangibles de ses résultats et savourent le vin avant qu’il ne soit tiré… L’Eurostoxx 50 bat le Nasdaq cette année en livrant une performance à deux chiffres qui n’échappe pas aux huiles politiques en ces temps de déficits budgétaires difficiles à combler. Il règne un esprit de ménage de printemps dans nos administrations ou organes de représentation où la marotte du moment consiste à dénicher le petit mouton de poussière que l’on pas encore, ou pas assez taxé. Ainsi raisonne donc le flamboyant cor de la chasse aux rentes ! Super profits, rachats d’actions ou durcissement de la fiscalité des placements, le temps est venu de régler l’addition du quoi qu’il en coute, de la guerre en Ukraine, de la hausse des salaires administrés et de la tenue exemplaire de nos finances publiques…
Loin de pouvoir donner des leçons d’austérité budgétaire, le trésor américain doit jouer une partition tout aussi délicate étant donnée les taux d’intérêts exigés : 4,5% à 10 ans ! Pour autant, l’indice des conditions financières de la FED continue de se détendre, grâce aux liquidités, maintenues à un niveau plus que suffisant. Ramené à une vitesse de croisière modérée, le cuirassé de l’économie américaine s’éloigne de la zone de surchauffe. Jerome Powell peut laisser au placard son costume de commandant du porte conteneur qui a sinistré Baltimore, pour l’instant. Non il ne brisera pas la reprise. La baisse des taux viendra cette année, confie-t-il au coin du feu, peut-être pas aussi vite et autant que les marchés l’espèrent… Mais elle viendra. Gare toutefois au rebond des prix à la pompe. Un gallon à 4$ n’a jamais été de bon augure pour un président sortant… et pour les vendeurs d’inflation….