L’édito du mois par Alexis Bienvenu, Beheerder, La Financière de l’Echiquier.
L’élection de Donald Trump attise un incendie sur tous les fronts. Sur les marchés, les valeurs américaines gagnent plus de 5%1 depuis l’élection, alors que l’indice mondial hors valeurs américaines recule de plus de 1% (en dollars). Et le dollar progresse contre quasiment toutes les devises.
Mais ces mouvements globaux ne sont rien en comparaison des déflagrations touchant les foyers où souffle directement le vent de la révolution ‘’trumpienne’’. Pas seulement sur Tesla qui, électrisée par l’intégration d’Elon Musk dans l’équipe présidentielle, bondit de 37%. De façon plus significative pour l’ensemble de l’économie, les grandes banques s’embrasent de plus de 15%.
La raison en est simple : de façon générale, Trump promet de sabrer dans les réglementations. Même s’il n’a jusqu’ici rien indiqué de précis à propos de la finance, le marché s’attend à voir s’alléger les contraintes prudentielles pesant sur les banques. Dans une hypothèse maximaliste, on pourrait même voir brûler une partie de ce qui reste de la réglementation mise en place dans le sillage de la crise financière de 2008, rassemblée dans la loi « Dodd-Franck », adoptée en 2010. Cette loi avait accru la supervision des banques, les contraignant à constituer davantage de réserves pour parer aux crises et à modérer les risques pris sur les marchés. Mais dès son premier mandat, en 2018, Trump avait fait adopter une loi assouplissant ces contraintes.
Si les banques elles-mêmes, du moins leurs actionnaires, ne peuvent que se réjouir de l’espoir d’un nouvel assouplissement, l’économie américaine s’en portera-t-elle réellement mieux ? À court terme, il est possible que la production de crédit et l’investissement dans l’économie soient stimulés. Mais à long terme, la destruction des pare-feux mis en place par Dodd-Franck risque de rendre l’économie plus vulnérable. L’épisode récent de la crise des banques régionales le prouve. Allégées de certaines contraintes par la réforme trumpienne de 2018, quelques banques de petite ou moyenne taille avaient vu leur solidité menacée par les conséquences de la hausse des taux début 2023. Quatre d’entre elles avaient fait faillite. Heureusement, les dommages avaient été circonscrits grâce au concours des méga-banques américaines et de la Fed. Et par un mouvement de balancier incessant, la surveillance des banques de petite taille s’en était trouvée de nouveau renforcée.
Trump a-t-il tiré la leçon de cette crise dont, par sa réforme de 2018, il fut indirectement le facilitateur ? À l’heure où il ne jure que par la dérèglementation, on peut en douter. En espérant qu’il n’aille pas trop loin dans cette voie, car dans le cas contraire, les autres économies mondiales se verraient contraintes d’accompagner ce mouvement, sous peine de perdre en compétitivité face aux banques américaines. Ainsi le gouverneur de la Banque de France vient-il de réagir en esquissant un programme d’ajustement de la supervision bancaire2 visant à la « simplifier ». Ce qui ne signifie certes pas officiellement un allègement. Mais du moins un pas vers davantage de respiration au sein du corset réglementaire. Une étape certainement salutaire pour la compétitivité européenne – merci Trump, paradoxalement ! Encore faut-il que la déréglementation américaine ne soit pas trop profonde. Sans cela, la « simplification » européenne serait insuffisante pour contrer la nouvelle puissance de feu financière américaine.
La politique du brûlis réglementaire, tout comme celle du drill, baby, drill3, sera donc certainement efficace pour faire scintiller le début de mandat de Trump II. Et peut-être même utile à l’Europe. Mais pas à une extension indéfinie du feu de joie, qui laisserait derrière lui un tas de cendres.
1 Au 27.11.2024
2 Pour une simplification réaliste : dénouer quelques nœuds de la règlementation bancaire en Europe, 26.11.2024
3 « Fore, bébé, fore » : slogan des partisans de l’extraction des énergies fossiles aux Etats-Unis.