Skip to main content
Thomas Planell, Gérant-analyste chez DNCA   Thomas Planell, Gérant-analyste chez DNCA ​ ​

Finalement, la publication des indices de prix à la consommation et à la production aux Etats-Unis a déterré la hache de la guerre contre l’inflation.

Les swaps sur taux FED s’ajustent à la hausse : jusqu’à 5,3% attendu en juillet, plus de 60 points de base au-dessus du taux effectif de la Banque. Loretta Mester (FED de Cleveland) soutient ouvertement une nouvelle hausse de 50 points de base. Les probabilités d’une première baisse des taux FED en fin d’année reculent. Schnabel (BCE) pense que les marchés sont trop complaisants avec l’inflation.

Les breakevens américains de maturité 1 an (les anticipations court terme de l’inflation) remontent au plus haut depuis octobre dernier (plus de 2,9%).

Logiquement les rendements remontent sur toutes les maturités de la courbe, parfois jusqu’à leurs plus hauts de l’année en cours.

Depuis les points bas (1er février) de son drawdown de 4 mois (-11,3%), le dollar index reprend 3,2%…

Ces chiffres sont-ils suffisants pour faire vaciller la conviction actuelle du marché que le pic d’inflation est derrière nous ?

Pas encore. Mais ils montrent que la vitesse de désinflation ralentit déjà.

Ce qui augure d’un scénario qui n’est certes pas celui du pire… sans pour autant être la feuille de route idéale (Goldilocks) qu’aimeraient emprunter les investisseurs.

Ils devraient composer avec la partition moins harmonieuse d’un « no (soft) landing » au fil duquel l’inflation se modère de façon cacophonique, surprenant tantôt à la hausse, tantôt à la baisse, sans fortement reculer (pas de hausse remarquable du chômage).

Si cette musique n’est pas celle d’un nouvel épisode de guerre embarquant les banquiers centraux contre le dérapage de prix, elle n’est pas pour autant un appel à fumer le calumet de la paix.

Dans l’ensemble, elle contribue à justifier des taux durablement plus élevés, peu favorables à l’expansion des multiples de valorisation des actions.

Sans une nette reprise de la croissance du PIB, et donc des bénéfices, le potentiel haussier des marchés actions (dont certains, comme le CAC40 enregistrent de nouveaux records) se réduit. Avec une prime de risque deux écarts-type sous sa moyenne cinq ans (4,8%), la valorisation du MSCI Europe (sur la base des bénéfices attendus par le consensus Bloomberg cette année) est moins engageante qu’en fin d’année dernière…

Dans ce contexte, l’approche par le dividende et le retour à l’actionnaire peut protéger le portefeuille du scénario noir des années 70, décennie perdue pour la classe d’actifs.

En outre, les investisseurs devront surveiller les matières premières et le pétrole notamment, qui repasse en territoire négatif depuis le début de l’année.

Ce mouvement peut surprendre l’observateur qui se focalise sur les fondamentaux. Repli des probabilités de récession en Occident, réouverture de la chine, baisse de production de la Russie (500k b/d) non compensée par l’Opep : en dehors de la fragilité de la croissance, tout milite en faveur de prix du pétrole plus élevés…

Néanmoins, dans leur ensemble les matières premières ont reculé avec la baisse du dollar, censé mécaniquement renchérir les actifs réels.

Intègrent-elles un scénario plus pessimiste que les marchés actions qui campent autour de leurs plus hauts depuis janvier 2022 ?

Ce ne serait pas la première des contradictions à s’offrir aux yeux des investisseurs cette année.

Depuis 6 mois, alors que l’ISM manufacturier reste faible et que le sentiment économique (mesuré par la Commission européenne) commence à peine à rebondir, les cycliques européennes surperforment de 30% les défensives : du jamais vu depuis cinq ans.

Grand frère de cet indicateur de l’appétit pour le risque, le ratio de l’or sur le cuivre livre une version très différente de l’optimisme des marchés actions dont profite également le crédit high yield européen. Le spread OAS de l’indice Bloomberg High Yield européen s’est en effet comprimé de 240 points de base depuis octobre dernier…

Le métal précieux est d’ailleurs l’objet d’un record inédit en 2022. Selon le World Gold Council jamais les banques centrales n’ont acheté autant d’or en une année depuis 55 ans. Alors que les ETF ont subi 110 tonnes de rachats (contre 189 en 2021), les banques centrales ont pris le contrepied des particuliers en amassant 1136 tonnes, plus du double des volumes de 2021.

Le secours de cet actif de réserve est le bienvenu pour les pays émergents qui pâtissent d’une économie fragile et d’une devise faible face au dollar.

D’autant que malgré son repli face aux devises des pays développés, le billet vert reste très cher par rapport aux monnaies des nations émergentes. Le Real Emerging Market Economies Dollar Index de la FED de Saint Louis campe sur ses plus hauts de 10 ans ! Ce qui risque d’aggraver la question de la soutenabilité de la dette de grands pays émergents. Elle risque de se poser pour les investisseurs au fur et à mesure que le mur de dette high yield attendu entre 2025 et 2026 approche…

Malheureusement, les pays qui ont en le plus besoin n’ont vraisemblablement pas renforcé leur bilan.

Globalement, le FMI constate que son indicateur de réserves adéquates dans les émergents s’est détérioré depuis 2021. Parmi les pays suivis, un quart se trouve sous le seuil de sécurité fixé par l’institution. Les réserves de change de la Turquie, de l’Argentine, de l’Egypte, de la Roumanie, de la Hongrie, du Chili, de la Malaisie et de la Pologne ne suffisent plus à couvrir la dette libellée en devise étrangère.

Parmi les premiers à montrer des signes tangibles de faiblesse, l’Egypte, le Pakistan et le Liban ont dû mettre un terme au peg de leur monnaie avec le dollar entre janvier et février, afin de débloquer l’aide du FMI.

Dès lors, la spirale infernale s’est enclenchée. La livre égyptienne, la roupie pakistanaise et la livre libanaise ont plongé de 50%, 25% et 90% respectivement après la décision des autorités monétaires. D’autres pays pourraient donc suivre.

L’Ukraine, ravagée par la guerre pourrait être la prochaine sur la liste.

Le Ghana et le Nigeria sont en situation tout aussi précaire.

Voisin d’une Syrie en proie au chaos de conflits interminables et à l’un des séismes les plus importants de l’histoire de la région, la Turquie tout autant meurtrie dans sa chair, pourrait voir la facture de la catastrophe s’approcher des 100 milliards de dollars. En 2023, cela amputerait au moins d’un point la croissance du PIB. Mis au défi par une inflation hors de contrôle qui a fortement pesé sur la lire, le gouverneur Sahap Kavcioglu a très fortement accru les réserves d’or de la banque centrale turque en 2022. Malheureusement, quand bien même il pourrait pleuvoir sur les familles des victimes, tout l’or de la TCMB ne saurait avoir raison de la douleur de la multitude touchée par la tragédie…

KFI

Author KFI

More posts by KFI