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Patrick Zweifel, Chief Economist, Pictet Asset Management.

L’idée selon laquelle la planète se démondialise est largement répandue. L’interdépendance croissante des pays d’Asie et leur force économique démentent ce mythe. Le commerce mondial continuera de stimuler une croissance rapide en Asie.

Moteur de croissance

La mondialisation a été un puissant moteur de croissance pour l’Asie, en particulier ses économies émergentes. Et cela va continuer, malgré les craintes généralisées de démondialisation. D’une part, le commerce mondial ne connaît aucune contraction généralisée, même si sa nature et sa composition évoluent. Ce changement survient en grande partie en Asie, à cause du développement rapide de la région, lui-même permis par la mondialisation.

En effet, l’Asie émergente est arrivée à un point où elle rassemble tous les éléments nécessaires à une croissance soutenue. Elle réunit plusieurs économies diversifiées et complémentaires et à ce titre, elle dépend de moins en moins du reste du monde. Ses différentes économies imbriquées se répartissent toutes les principales sources de croissance: commerce, capital, connaissances et main-d’œuvre.

Le mythe de la démondialisation

Les commentateurs les plus pessimistes s’attardent souvent sur le fait que le commerce mondial de marchandises a atteint son maximum en 2008 et s’inscrit depuis dans une tendance baissière. Ce faisant, ils passent à côté de deux facteurs.

Tout d’abord, ce recul s’explique en grande partie par l’internalisation en Chine d’une part croissante des processus de fabrication en parallèle du développement du pays. Ainsi, alors qu’auparavant, la fabrication d’un produit électronique aurait pu impliquer de le faire sortir de Chine, vers Taïwan par exemple, puis revenir en plusieurs fois. Désormais l’ensemble du processus de fabrication est assuré à l’intérieur des frontières chinoises.

La deuxième omission vient du fait que les exportations de services gagnent en importance, mais ne sont généralement pas comptabilisées dans le cadre de la «mondialisation». Le commerce mondial des services a ainsi presque doublé depuis 2008.

La part des échanges de biens dans le PIB mondial va très certainement continuer à baisser. Néanmoins, c’est principalement dû à la montée des services dans des économies de plus en plus matures à travers le monde. Le volume réel des échanges de biens devrait augmenter. De fait, les données préliminaires pour 2023 montrent une forte hausse des échanges après une décennie d’évolution largement horizontale.

Ce n’est pas pour autant qu’aucun vent contraire ne souffle sur le commerce. Par exemple, les États-Unis ont relocalisé – ou rapatrié – près de 220 000 emplois en 20221. Cette situation survient notamment en réaction à la pandémie de Covid: les entreprises ont découvert la fragilité de leurs chaînes d’approvisionnement internationales et se sont efforcées de limiter les ruptures futures. Cette tendance existait toutefois déjà avant la Covid. Les tensions géopolitiques ont continué d’encourager la relocalisation et le «near-shoring».

Il y a cependant des limites à la relocalisation, notamment parce que les avantages concurrentiels de certains pays, au moins concernant la production de quelques biens et services, ne disparaîtront jamais.

Par ailleurs, même si la Covid a pu perturber le commerce des biens, elle a ouvert de nouvelles voies pour l’expansion des services. Elle a ainsi clairement montré à quel point les technologies de communication favorisaient l’internationalisation des services. Il ne s’agit plus seulement d’ouvrir des centres d’appels en Inde. Avec la télémigration, la finance, le droit, l’ingénierie, l’architecture, le conseil, la publicité, le marketing et bien d’autres services se sont ouverts à la concurrence internationale.

[1] Source: Pictet Asset Management, Reshoring Initiative. Données de février 2023.

La montée de l’Asie émergente

C’est la vapeur qui a permis d’enclencher la première vague de mondialisation. Grâce à des transports plus rapides et efficaces, le commerce a connu une véritable explosion au 19e siècle. La plupart des gains ont eu lieu dans les pays les plus industrialisés: en 1987, près de 70% des produits manufacturés mondiaux provenaient du G72.

Une autre innovation est venue alimenter la dernière vague de mondialisation: Internet. En réduisant le coût lié à la transmission d’informations, le réseau a accéléré la production et la distribution des produits manufacturés. Cette fois-ci, ce sont les producteurs asiatiques qui en ont le plus profité. À elle seule, la Chine fabrique 30% des produits manufacturés mondiaux, la part totale de l’Asie atteignant 41%, tandis que celle des économies de G7 s’élève à 34% (voir graphique 3).

Compte tenu de la forte intégration de ses économies, l’Asie devrait renforcer encore davantage sa position dominante dans les biens manufacturés. La région s’appuiera notamment sur des accords commerciaux tels que l’ASEAN, le Partenariat transpacifique et le RCEP, qui sont à la fois diversifiés et complémentaires. L’intelligence artificielle est une autre innovation susceptible de déclencher une nouvelle mondialisation. N’oublions pas que la Chine est également en pointe dans cette technologie.

[2] Source: Pictet Asset Management, UNSTAT. Données de février 2023.

Quatre blocs économiques

Les économies asiatiques forment trois blocs émergents et un quatrième en développement. Ces blocs se complètent mutuellement grâce à leurs points forts différents dans les domaines du commerce, des capitaux, des personnes et de l’information.

La Chine et Hong Kong constituent le bloc central, la clé de voûte de la région. Elles dominent les échanges commerciaux dans la région: 25% des exportations des pays d’Asie développés sont destinées à la Chine et 40% des exportations en provenance d’Australie3. Bien que son économie occupe le deuxième rang mondial (et qu’elle se dirige vers la première place), le PIB par habitant de la Chine ne représente qu’un tiers de celui des pays les plus développés de la région. Le pays souffre également d’une mauvaise situation démographique, mais bénéficie de volumes de capitaux considérables, ce qui lui a permis d’investir massivement dans les autres économies émergentes d’Asie.

Le bloc suivant est formé de pays moins développés – en grande partie des pays de l’ASEAN. Situés à la porte de la Chine, ils constituent des sources de main-d’œuvre bon marché et abondante et reçoivent en contrepartie des flux de capitaux significatifs de la part de leurs voisins plus riches. Les flux entrants dans ces pays proviennent à 80% de Chine et des pays les plus développés de la région.

*Ajusté pour tenir compte des investissements directs bilatéraux. L’ASEANX comprend les pays de l’ASEAN ainsi que la Mongolie, le Népal et la Birmanie. Source: Pictet Asset Management, CNUCED. Données couvrant la période allant du 01.01.1999 au 01.02.2023.

Vient ensuite le bloc de l’Asie du Sud, qui comprend l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh et le Sri Lanka. Ces pays comptent parmi les plus pauvres de la région, leur PIB par habitant n’atteignant qu’un vingtième de celui de l’Asie développée. Ils ne sont pas non plus très bien intégrés avec le reste de la région. Néanmoins, ils ne sont pas dénués d’atouts avec des populations très jeunes et des progrès significatifs réalisés dans le commerce des services aux entreprises. L’Inde représente ainsi à elle seule 13,2% des exportations mondiales dans les technologies de l’information et de la communication, contre 7,5% pour les États-Unis. En outre, malgré la mauvaise qualité des liens commerciaux avec le reste de l’Asie, l’interconnexion dans ce secteur connaît une croissance rapide.

Il faut enfin évoquer les économies très développées, à savoir l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon, la Corée du Sud, Taïwan et Singapour. Ces pays affichent des niveaux élevés de PIB par habitant, sont fortement urbanisés, sont à la pointe de la technologie et disposent d’excédents de capitaux.

[3] Source: Pictet Asset Management, CEIC, CNUCED, Banque mondiale. Données de février 2023.

Une adaptation parfaite

Ensemble, les pays asiatiques peuvent faire en sorte que leur croissance s’autoalimente. Compte tenu de leur potentiel de croissance, les capitaux devraient s’y affluer. En 2001, l’Asie représentait 10,2% des flux de capitaux mondiaux, mais d’ici à 2030, ce chiffre sera de 23,6%4. Sur la même période, les flux en direction des États-Unis chuteront de 23,6% à 18,5%5. Selon nous, d’ici à 2030, l’Asie, en intégrant le Japon, représentera 33% du PIB mondial, contre 26% en 2000. Les États-Unis, quant à eux, verront leur part diminuer de 32% à 20% 6.

Et à mesure que l’Asie gagnera en importance économique, elle jouera également un rôle plus important sur les marchés financiers mondiaux. Cela se traduira par une plus grande inclusion dans les indices obligataires mondiaux. Il est en outre probable que cela conduise à la formation de facto d’un bloc du renminbi. En 2006, la corrélation entre la monnaie chinoise et celles des autres économies asiatiques était à peu près nulle. Elle a depuis grimpé à 20%. Au total, le bloc du RMB représente désormais un quart du PIB mondial, soit l’équivalent de la zone euro. Par ailleurs, avec la progression de l’intégration et du développement de la région asiatique, cette proportion ne devrait faire qu’augmenter7.

*Zone euro, Royaume-Uni, Suisse. **Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Norvège et Suède. Source: Pictet Asset Management, Refinitiv, CEIC. Données couvrant la période allant du 01.01.2000 au 01.01.2023.

Les craintes liées à la fin de la mondialisation sont généralement exagérées, mais, dans le cas de l’Asie, elles sont totalement déplacées. L’intégration et l’interdépendance sont de plus en plus fortes dans la région. Il y a suffisamment de différences et de complémentarités au sein des quatre blocs économiques asiatiques pour générer une croissance autonome, même en cas de stabilisation des échanges de marchandises dans d’autres régions du monde. La Covid, la hausse des taux d’intérêt ainsi que les tensions géopolitiques ont freiné les progrès de l’Asie, cependant la dynamique interne contribuera positivement à l’évolution de l’économie de la région.

[4] D’après une moyenne sur 3 ans.

[5] D’après la moyenne mondiale sur 3 ans, source Pictet Asset Management et CNUCED. Données de février 2023.

[6] Source: Pictet Asset Management, Refinitiv, CEIC. Données de janvier 2023.

[7] La zone monétaire est définie en fonction de l’élasticité du PIB de 48 économies, l’élasticité correspondant au poids de la devise de réserve dans une devise donnée (modèle de régression en deux temps selon Frankel et Wei). Source: Pictet Asset Management, CEIC, Refinitiv. Données de février 2023.

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