Malgré le tumulte des derniers mois, une relative cohérence a su s’instaurer : les classes d’actifs qui présentent des caractéristiques similaires affichent des performances proches.
En revanche, la hiérarchie historique du couple rendement-risque ne s’applique plus. La courbe de la frontière efficiente d’un portefeuille diversifié est déformée.
A l’échelle globale, le crédit investment grade et les obligations souveraines qui évoluent souvent de concert cèdent 18% depuis le début de l’année (à dissocier d’une meilleure tenue de la dette privée européenne à -13,5%). Tandis que, toujours à l’échelle de la planète, les actifs risqués positivement corrélés comme les actions (qui enregistrent à nouveau des flux entrants – les plus importants depuis 35 semaines -) et le crédit high yield (quatrième semaine consécutive de collecte positive) résistent mieux (-17% & -14,5% respectivement).
Malgré leur volatilité usuelle et leur sensibilité très forte à l’activité économique chinoise, les grands gagnants (outre le dollar) de cette année réellement extraordinaire restent les matières premières.
Recueillant au cours de la semaine passée les flux hebdomadaires les plus importants depuis six mois, elles sont en voie de renouveler leur succès de 2021 (+46,3% d’après les données compilées par Bank of America et Bloomberg) en livrant un nouveau millésime exceptionnel (+35% depuis le début de l’année). Néanmoins et contrairement aux actifs financiers, l’hétérogénéité des performances domine cette classe d’actifs et rappelle les risques qui l’entourent. Cette année, les denrées agricoles en nette hausse volent la vedette aux métaux industriels et précieux ainsi qu’au pétrole qui accusait une baisse de 5% sur la seule journée de vendredi dernier !
Résisteront-elles encore longtemps au risque de récession, qui croit au fur et à mesure que les indicateurs économiques américains se replient (baisse de la production industrielle, des ventes de logements, rebond des inscriptions hebdomadaires au chômage…) ? Tiendront-elles tête au funeste oracle de l’inversement de la courbe des taux qui atteint son paroxysme (jamais l’écart entre les rendements à dix ans et deux ans n’a été aussi négatif depuis février 1982) ?
Tout dépendra de nombreux déterminants majeurs pour les matières premières : force du dollar (le dollar index a cédé jusqu’à 8% de sa valeur depuis les derniers plus hauts de septembre), vitesse de réouverture de la Chine, principal consommateur et importateur, niveaux de stocks, géopolitique et conditions climatiques de plus en plus volatiles…
Les dernières annonces du parti communiste chinois augurant d’une levée imminente des restrictions renforcent l’appétit des investisseurs pour les métaux les plus corrélés à l’activité économique chinoise. Le cuivre a ainsi fait l’objet d’une vague de rachats de positions vendeuses.
Très consommateurs du métal conducteur, les chantiers d’infrastructures électriques, de production d’énergie renouvelable et les projets d’électrification des transports n’ont pas été interrompus par la politique zéro covid. Au contraire, ils figuraient en bonne place sur les axes de relance économique du parti et ont ainsi compensé le repli de l’activité immobilière, réduisant les stocks chinois onshore à leur niveau le plus bas en 15 ans.
Avec la reprise de l’activité manufacturière et industrielle (fortement consommatrice de gaz), au fur et à mesure du retour à la normale de la mobilité (hausse des besoins en essence) la demande énergétique devrait également fortement augmenter en Chine, pays importateur de GNL…
L’équilibre offre-demande est par ailleurs menacé par les risques croissants qui entourent plusieurs pays producteurs d’hydrocarbures : la Russie, l’Iran, l’Irak, la Libye… tandis que l’OPEP manifeste clairement son inclination à soutenir les prix par des réductions successives de sa production.
Si l’Europe a su reconstituer ses réserves de gaz, le plus dur de l’hiver reste à venir et les stocks de matières premières restent en général plus bas qu’à l’accoutumée dans le monde occidental. Il est à redouter que les prix ne convergent pas autant que par le passé vers les niveaux usuels induits par un repli de l’activité économique.
Néanmoins, vendredi dernier, le pétrole cédait plus de 5% à la bourse du New York Mercantile Exchange, érodant d’un tiers sa performance annuelle sur fond de résurgence des cas Covid à Beijing.
Il n’en demeure pas moins que les tensions climatiques, géopolitiques, les investissements dans les énergies renouvelables et dans la relocalisation des facteurs de production au fur et à mesure que recule le concept de globalisation, semblent enfanter de tendances structurelles et séculaires haussières pour les matières premières.
L’approvisionnement en denrées agricoles autant qu’en terres rares (indispensables à la production de semi-conducteurs) resteront, peut-être plus que par le passé, des enjeux stratégiques de puissance au fur et à mesure du retour à un Etat moderne plus centralisé, ainsi qu’on commence à l’observer en Chine depuis la reconduction de Xi Jinping à la tête du parti mais aussi en Occident depuis que les gouvernements démocratiques ont recouvré leur rôle d’Etat Providence face au Covid.
Pour les investisseurs, que ce soit à des fins de protection contre l’inflation ou dans le but de diversifier leur portefeuille, une allocation raisonnable de leur patrimoine (entre 5 & 10%) en actifs réels décorrélés des instruments financiers traditionnels devrait faire sens pour les années, voire les décennies à venir…