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Si la boite de chocolats que vous avez reçue pour la Saint-Valentin était à moitié vide, la faute incombe à certaines marques qui n’hésitent pas à réduire les quantités tout en gardant le même prix et en utilisant des emballages surdimensionnés. Cette pratique, communément appelée la shrinkflation, mélange de l’anglais ‘shrink’ (réduire) et inflation, est parfaitement légale. Dans un contexte marqué par une inflation généralisée des coûts ainsi que des tensions sur les chaines d’approvisionnements, les marques ont de plus de plus recours à la shrinkflation ainsi qu’à d’autres stratégies peu orthodoxes. Cependant, selon une étude de l’entreprise 84,51° appartenant à Kroger, un consommateur sur trois n’est pas conscient de ce phénomène. Dans cet insight, nous revenons sur l’évolution de ces pratiques contestées au sein du secteur agroalimentaire.

LA SHRINKFLATION : UNE PRATIQUE FLOUE VISANT À PROTÉGER LES MARGES

Comme l’illustre l’indice des prix à la consommation aux USA, qui est passé de quasiment 0% juste après le Covid pour atteindre un pic autour de 9% durant l’été dernier, l’année 2022 a connu un choc d’inflation extrêmement virulent. Quand on regarde plus en détails, il apparait que ce choc était très généralisé et qu’il a impacté aussi bien les matières premières agricoles que les salaires, en passant par les coûts de l’énergie ou du transport. Ainsi, le secteur de l’agroalimentaire n’a pas été épargné et beaucoup d’acteurs ont augmenté leurs prix, passant les coûts de l’inflation aux consommateurs – une pratique bien connue. En plus de hausses de prix, les producteurs disposent d’autres pratiques plus floues afin de protéger leurs marges dans un contexte de hausse des coûts généralisés.

Nous allons nous concentrer aujourd’hui sur la pratique la plus connue et la plus répandue chez les producteurs : la ‘shrinkflation’, ou réduflation en français. Sa définition est extrêmement simple : réduire la quantité tout en gardant, voire en augmentant le prix de vente. Son application est difficile à identifier par le consommateur qui est rarement attentif au poids des produits qu’il met dans son chariot. Ainsi, la shrinkflation peut s’apparenter à une inflation invisible qui est très probablement sous- estimée dans les indices classiques de mesure de l’inflation.

Les produits les plus touchés sont ceux dits transformés, tels que les yaourts, les snacks, les boissons ou encore les fromages. Il n’existe pas, hormis le poids du produit, d’indicateur permettant de suivre l’évolution du rapport quantité/prix de ces produits. A l’inverse, les produits les moins transformés tels que les produits frais (fruits et légumes, etc.) voient leurs prix affichés au kilo, les consommateurs peuvent alors plus aisément repérer les hausses de prix.

Les marques rivalisent d’ingéniosité pour tromper les acheteurs et n’hésitent pas à jouer sur la taille des emballages afin de faire croire que les quantités sont plus importantes. L’exemple le plus connu est celui des paquets de céréales dont la taille est très souvent disproportionnée par rapport à la quantité de produits contenus. Encore plus fort, les marques vont même jusqu’à convaincre les acheteurs que cette baisse de quantité est pour leur bien. Ainsi, en avril 2019, la marque Coca-Cola a fait passer la taille de ses cannettes vendues en Suisse de 50 cl à 45 cl, tout en expliquant que cette baisse répondait, en fait, aux attentes des consommateurs.

Contre toutes attentes, dès le mois de mai prochain, le format 50 cl fera son grand retour en terres helvètes. Le porte-parole de la marque justifie ce virement de bord à coup d’enquêtes sur les consommateurs. Cependant, les supermarchés ont joué un rôle décisif dans cette bataille. Ainsi, la Coop avait décidé de contre-attaquer en important des bouteilles de 50 cl, d’abord de Pologne, puis d’Ukraine et de Serbie, toujours à 1,35 franc l’unité, tout en vendant les flacons de 45 cl suisses en même temps. De plus, le détaillant avait décidé de réintroduire dans son assortiment les bouteilles de Pepsi, le rival historique de Coca-Cola. Au final, quatre ans plus tard, le producteur de soda a décidé de faire machine arrière tout en maintenant les mêmes prix !

L’EUROPE EN PREMIÈRE LIGNE

Malheureusement, cet exemple reste minoritaire et la tendance est plutôt à la hausse de l’utilisation de la shrinkflation. En effet, les retours en arrière sont rarissimes, même en période de baisse de l’inflation. Ainsi, en France en 2022, l’association Foodwatch estime que 6% des produits vendus ont vu leurs quantités baisser et, devant cette recrudescence, le gouvernement a décidé de faire le point.

Fin 2022, la Répression des fraudes a donc ouvert une enquête dans des usines de conditionnement. Elle a pu comparer les quantités indiquées sur les emballages et le poids réel des produits. L’enquête a aussi été menée dans les magasins d’alimentation afin de scruter les étiquettes de ces produits.

Les résultats communiqués fin janvier font état d’anomalies dans 11% des commerces visités et dans 7 des 31 usines contrôlées concernant surtout des tablettes de chocolat, des produits ménages et d’hygiène, mais aussi des yaourts. Le gouvernement français demande donc plus de transparence et prône l’utilisation d’applications mobiles afin de mieux informer les consommateurs.

Après la France, c’est au tour de la Pologne de faire la Une des journaux et, comme le mentionne très bien le Financial Times : « le consommateur doit non seulement se munir d’un porte-monnaie bien garni mais aussi d’une loupe pour passer au crible les emballages ». Avec une inflation en Pologne aux environs de 17%, soit presque le double de la moyenne de la Zone Euro, la shrinkflation est pratiqué avec une intensité jamais connue auparavant.

Si aujourd’hui on ne peut pas passer une journée sans que ce sujet soit abordé dans la presse, la shrinkflation n’est pas une pratique nouvelle. Cette technique a été utilisée par des empereurs romains, qui ont rogné les bords de pièces d’argent et d’or, ou même introduits du cuivre et d’autres métaux moins chers afin de financer la construction de leur empire. Plus récemment, après le Brexit en 2016, les producteurs et distributeurs opérants sur le sol britannique ont massivement eu recours à cette stratégie alors que les coûts, notamment les taxes douanières, ont explosé.

Mais il existe également d’autres armes dont disposent le secteur agroalimentaire – comme la cheapflation, qui consiste à utiliser des ingrédients moins chers, ce qui est encore plus difficile à identifier pour les consommateurs. A titre d’exemple, on peut citer le beurre dans lequel l’huile de palme remplace le lait, les confiseries où le sirop de glucose se substitue au sucre ou enfin le dentifrice qui comporte de moins en moins de fluor. Ces changements ont souvent un impact négatif sur la santé du consommateur, sans mentionner les répercussions écologiques.

EN CONCLUSION

Les conséquences du choc d’inflation de 2022 vont au- delà de la hausse des prix mesurée par les indicateurs traditionnels. Des pratiques floues ayant toujours existées, comme la shrinkflation, ou encore des méthodes plus récentes, comme la cheapflation, ont connu une adoption record. Le but des acteurs du secteur de l’agroalimentaire est de protéger leurs marges dans un contexte de hausse généralisée des coûts. Mais ces techniques ne sont pas sans conséquences sur la confiance des consommateurs, leurs santés et celle de notre planète. Ainsi, nous ne pouvons que recommander à chacun d’éviter un maximum les produits transformés et à passer plus de temps en cuisine. Comme le dit le journaliste culinaire Michael Pollan : « Vous pouvez manger tout ce que vous voulez du moment que vous le cuisinez vous- même ».

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