Market view par Laurent Denize, Co directeur des investissements, ODDO BHF
Et pourtant l’année 2022 s’annonçait sous les meilleurs auspices. Elle allait être l’année de la normalisation des politiques monétaires, une normalisation douce, progressive, calme. Le début d’année était marqué par une rotation sectorielle fulgurante vers des sociétés de type Value avec une surperformance de près de 10% en 1 mois. L’Europe retrouvait des couleurs. Ça, c’était avant la décision de M. Poutine d’envahir l’Ukraine. On connait la suite, avec une performance négative pour la quasi-totalité des classes d’actifs en 2022.
Décélération de la croissance et inflation élevée pour 2023
En cette fin d’année, les projections macroéconomiques globales, et de manière encore plus marquée en Europe, paraissent peu réjouissantes. Le scénario dominant nous semble être celui d’une légère contraction du PIB de la zone Euro pour 2023, tandis qu’aux Etats-Unis celle-ci pourrait être évitée de justesse au premier semestre. En dépit d’un léger rebond de la croissance chinoise, la croissance mondiale continuerait donc de décélérer, autour des 2%.
L’incertitude majeure pour l’année qui s’annonce est celle de la vitesse de décrue de l’inflation. Les investisseurs ont récemment revu en légère baisse les taux terminaux de la BCE (~3%) et de la FED (~5%), et anticipent même de la part de cette dernière une détente monétaire avant l’automne. En ce sens, les investisseurs sont beaucoup trop optimistes et risquent d’être déçus. Si les pics d’inflation semblent bien appartenir au passé aux Etats-Unis et sont en passe d’être atteints dans la plupart des autres économies, l’inflation cœur (hors éléments volatils énergie/alimentation…) montre peu de signes de faiblesse. En dépit d’un ralentissement marqué de la composante immobilière, l’inflation risque donc d’être plus forte qu’espérée par le consensus. Le marché du travail reste dynamique, l’inflation salariale s’ancre de plus en plus structurellement sur des niveaux élevés. La décrue actuelle de l’inflation risque donc de n’être que temporaire et pourrait redécoller en fin d’année 2023 avec la relance chinoise et les besoins d’investissement pour soutenir la transition écologique ou la relocalisation.
Le niveau actuel des taux longs aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe apparait donc trop faible voire complaisant au regard du nouveau régime structurel d’inflation.
Et pourtant, nous restons constructifs sur les actifs risqués
Ces perspectives économiques n’incitent pas vraiment à une réallocation plus marquée sur les actifs risqués. Et pourtant, nous abordons 2023 avec une vue constructive. La principale raison de cet optimisme prudent vient des niveaux de valorisation observés sur les actions et les obligations, qui offrent actuellement des rendements non observés depuis 2009.
Obligations : la classe d’actifs à privilégier pour 2023
Sans conteste, le marché du crédit demeure la classe d’actifs à privilégier. En fonction de votre aversion au risque, il est possible de se positionner sur des obligations de qualité autour de 3,5%, ou des obligations un peu plus risquées à 6,5% sur des maturités de 5 ans.
Il est également intéressant de se positionner sur des obligations subordonnées d’émetteurs de qualité tant bancaires que « corporate ». Les rendements se rapprochent alors de 6% avec des émetteurs très solides.
Pourquoi se positionner sur le crédit alors que la récession est proche ? Pour une raison qui tient plus du raisonnement philosophique ou sociologique. En effet, les gouvernements ont mis en place pendant la période Covid des politiques budgétaires ayant pour objectif de protéger « à tout prix » le capital humain et productif des conséquences du choc combiné d’offre et de demande. Un tel engagement va prendre du temps à s’inverser et même à s’infléchir, limitant les défauts qui auraient dû se produire avec une contraction de l’économie. Il faut donc arbitrer la prime de risque offerte aujourd’hui, à savoir la probabilité implicite de défaut incluse dans le prix des obligations (40% en cumulé à 5 ans), et celle qui risque d’être constatée (beaucoup plus faible).
Actions : des niveaux de valorisation suffisamment modestes pour absorber de possibles déceptions sur les séquences bénéficiaires
Les marchés actions présentent, en cas de récession majeure, un risque un peu plus élevé qu’il y a quelques semaines, au vu de l’ampleur du récent rallye, mais pourraient tout à fait tirer leur épingle du jeu dans le scénario central de récession modérée. Alors que la zone Euro subissait 6 trimestres consécutifs de contraction entre fin 2011 et début 2013, l’indice Eurostoxx rebondissait de près de 40% entre 2012-2013… Cet indice est actuellement valorisé 12x les bénéfices estimés (9x fin 2011, et 15x fin 2013), ce qui demeure modeste en historique, et ces estimations intègrent déjà une croissance des bénéfices quasi nulle en 2023.
C’est ici qu’il faut changer de logiciel d’analyse. Il ne faut plus raisonner en nominal mais en termes réels dans un contexte inflationniste. Et avec ce prisme, c’est une contraction significative en termes réels (-7%) qui est actuellement reflétée dans les cours de bourse. Nous attendons néanmoins peu de surprises positives sur la croissance des séquences bénéficiaires. La hausse des intrants a été amplement répercutée par les entreprises dans leurs prix de vente, mais elle se heurte aujourd’hui à une baisse globale des taux d’épargne et des revenus disponibles. En revanche, la compression des multiples de valorisation liée à la hausse des taux tire à sa fin. Un retour à des moyennes historiques (14x les bénéfices estimés à 12 mois) peut ainsi amener les indices actions européens vers des niveaux plus élevés. Dans ce cas, même avec une baisse supplémentaire des bénéfices de 10%, les indices pourraient croitre de 5%.
Attention toutefois aux rotations sectorielles violentes qui devraient perdurer. En 2022, en Europe, face à une inflation tirée par les couts énergétiques, les producteurs d’énergie ont bénéficié de croissances spectaculaires de marge, tandis que les sociétés foncières ont mal absorbé les hausses des taux, avec les conséquences boursières que nous avons pu observer. Que faire en 2023 ? l’inflation exogène est en train de se résorber. Il faut donc se concentrer sur l’inflation endogène provoquée par une possible accélération des salaires. Dans un contexte d’inflation mue par des effets de second tour, il faut privilégier les sociétés à faible capital humain (comme le secteur technologique par exemple) et éviter les secteurs à forte intensité de main d’œuvre ! Prudence également aux expositions trop concentrées sur les grands bénéficiaires de la chute de l’Euro. Dans un contexte de remontée récente de la monnaie unique, et avec une situation d’inflation qui pourrait amener la BCE à continuer son resserrement alors que la FED y aura mis un terme, les expositions devises des portefeuilles pourraient désormais venir peser défavorablement sur les performances des portefeuilles non couverts.
Au niveau régional, nous privilégions l’Europe, le Royaume-Uni, et les marchés émergents (Chine incluse). L’inversion des « carry trades » (emprunt devise faible/prêt devise forte) devrait permettre une réappréciation relative de ces zones par rapport à la zone dollar. Ce phénomène a d’ailleurs déjà commencé et devrait s’accélérer en 2023.
Conclusion
La hausse des spreads et des taux redonne vie à l’investissement obligataire. L’incertitude géopolitique et la décélération de l’économie mondiale rendent en revanche l’investissement sur les actions plus complexe, mais pas moins passionnant. Les valeurs de croissance et les zones géographiques dont les devises nous paraissent sous-évaluées ont ainsi notre préférence pour le début de l’année 2023. Nous vous en dirons plus lors de notre stratégie d’investissement en janvier.
Je vous souhaite de très joyeuses fêtes, en espérant que le millésime 2023 soit meilleur que celui de 2022, bien «bouchonné ».