A l’heure où les prêts bancaires diminuent, la dette privée peut prendre le relais et aider les sociétés en bonne santé à combler leur déficit de financement.
Andreas Klein, Head of Private Debt Pictet Asset Management
L’environnement actuel, caractérisé par une pénurie de capitaux et un renchérissement des coûts de financement, est extrêmement difficile pour les emprunteurs. Mauvaise gestion des bilans, faible capitalisation et mise en œuvre prochaine du dispositif finalisé de Bâle III sont autant de facteurs contraignant les banques à se concentrer sur la réduction des actifs pondérés en fonction des risques, au détriment des prêts aux emprunteurs non investment grade et des opérations de prise ferme. Parallèlement, le volume d’émissions à haut rendement a chuté en 2022 et 2023 et n’a guère augmenté depuis.
L’arrivée à échéance de nombreux emprunts ces prochaines années est également un facteur à prendre en considération, car emprunteurs et prêteurs vont se retrouver sous pression pour lever les capitaux nécessaires à leur refinancement. Cet imposant «mur de dettes» n’a rien d’inédit, mais les emprunts refinancés entre 2010 et 2012, par exemple, avaient bénéficié d’un environnement de baisse des taux, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. Ainsi, même si l’on peut penser que l’augmentation attendue du taux de défaut et le climat de tension pèseront sur les emprunts existants, des opportunités permettant notamment aux nouveaux gérants et/ou nouveaux millésimes de capitaliser sur ces dynamiques ne manqueront pas de se présenter.
Le ralentissement conjoncturel et le tassement des valorisations devraient en outre favoriser une consolidation des marchés. Dans une optique de crédit, c’est l’occasion de soutenir des sociétés aux fondamentaux solides, dotées de bilans sains et susceptibles (pour autant qu’elles parviennent à lever les fonds nécessaires) de contribuer à la consolidation du marché par l’acquisition d’activités à des prix d’entrée intéressants, sources de synergies et d’économies d’échelle. Les gérants axés sur le crédit peuvent accompagner ces efforts en comblant le déficit de financement laissé par les banques.
Pour la dette privée, le retrait des banques et la volatilité des marchés cotés constituent des facteurs porteurs. Ce d’autant que les taux sous-jacents augmentent, que les spreads s’élargissent et que l’effet de levier diminue, les coûts de financement limitant la capacité d’endettement. Pour les investisseurs, l’avantage est double: des rendements plus élevés et un risque moindre.
En Europe, plus de 146 000 entreprises opèrent sur le «marché intermédiaire inférieur» – beaucoup présentent une forte croissance et offrent des services et produits innovants. Au cours des dix dernières années, la dette privée européenne a enregistré une progression à deux chiffres. Les gérants actifs axés sur ce marché cherchent souvent à lever des montants importants et à développer leurs plateformes afin d’augmenter leurs commissions de gestion. Il peut en découler un excédent d’offre dans le segment des grandes entreprises, amenant à une plus forte concurrence sur le marché des petites et moyennes entreprises, avec à la clé des rendements ajustés au risque attrayants pour les prêteurs.
Prêter des capitaux aux petites entreprises peut s’avérer particulièrement intéressant, car ces sociétés opèrent parfois dans des micro-niches si spécifiques qu’elles sont insensibles aux fluctuations du cycle macroéconomique. Le cadre légal ou réglementaire peut favoriser l’émergence de telles dynamiques, et ainsi générer des activités récurrentes pour les acteurs de niche sur les marchés concernés, et renforcer la visibilité de leurs revenus futurs.
C’est ce qui s’est passé récemment pour une entreprise technologique active sur le marché de la transition énergétique, à laquelle Pictet avait accordé des financements pour accompagner un rachat. La transaction a aidé un entrepreneur de premier plan à racheter les activités à leur fondateur, qui lui souhaitait sortir de la société, permettant à l’un et à l’autre d’atteindre leurs objectifs.