Joel Sandhu, partenaire de Top Tier Access, un fonds de fonds de capital-investissement.
Tout le monde sait que les prédictions sont fondamentalement dénuées de sens, car 99 % d’entre elles sont erronées. Mais l’euphorie d’une prédiction correcte dans un océan de prédictions inutiles et non réalisées est suffisante pour que nous commencions à prédire toutes sortes de choses.
En ce sens, voici nos 5 prévisions pour l’évolution du marché du capital-investissement en 2024.
Les fonds de second ordre continueront à avoir des difficultés à lever des fonds
La grande majorité des personnes impliquées dans la levée de fonds en 2023 et même en 2022 ont du mal à atteindre leurs objectifs. Le ratio de refinancement rapporté pour les clients institutionnels est de 0,7x. Si l’on considère que la plupart des fonds essaient d’augmenter leurs fonds d’au moins 20 % par an, cela crée une situation dans laquelle les collecteurs de fonds doivent trouver 50 % des fonds auprès de nouveaux investisseurs. Il faut souvent des années pour que de nouveaux investisseurs se décident, ce n’est donc pas une mince affaire.
Cette situation devient encore plus intéressante si l’on examine en détail qui a récolté de l’argent avec succès et qui ne l’a pas fait. Étant donné que plus de la moitié des moyens récoltés l’année dernière ont été transférés à un groupe élite de 20 fonds de capital-investissement, on peut conclure que le taux de refinancement de 0,7x n’est pas le même pour tous les fonds, mais qu’il penche probablement en faveur des fonds les plus performants. Par conséquent, certains fonds dépendront principalement de l’attraction de nouveaux investisseurs pour leurs fonds s’ils veulent rester sur le marché.
Les gagnants sont les fonds qui ont un historique plus long et qui ont pu démontrer qu’ils ont versé de l’argent à leurs investisseurs. En d’autres termes, les fonds de capital-investissement du « bon père de famille ». L’époque où les fonds de capital-investissement moyens ou faibles pouvaient lever des fonds est peut-être révolue.
Les requins sentent le sang
L’autre conséquence de la lutte pour la levée de fonds consistera à consolider les entreprises de capital-investissement avec des acquisitions d’entreprises. Les fonds de capital-investissement étant passés maîtres dans l’art d’acheter tout ce qui bouge, il est logique qu’ils veuillent absorber la concurrence par le biais de fusions et d’acquisitions.
La technologie et les soins de santé continuent d’enregistrer des performances supérieures
Certains des rendements les plus impressionnants des 15 dernières années en capital-investissement proviennent d’investissements dans des entreprises technologiques. Les investisseurs en capital-investissement disposant d’une expertise dans ce secteur ont eu le vent en poupe. Ceux qui ont pu apporter une valeur ajoutée sur le plan opérationnel ont particulièrement tiré leur épingle du jeu.
Nous pensons toutefois que ce vent favorable n’est pas encore terminé. Au cours des 15 dernières années, de nombreuses entreprises sont passées massivement à la numérisation et les logiciels sont devenus omniprésents dans tous les aspects de l’entreprise. Cela a permis à de nouveaux acteurs de s’emparer d’une énorme part de marché en proposant des solutions aux problèmes courants des entreprises.
La prochaine étape dans le monde de la technologie semble concerner les fusions et acquisitions agressives et le déploiement de l’IA dans les entreprises technologiques. La possibilité pour les entreprises technologiques de réduire les coûts et d’augmenter la productivité avec des outils d’IA est énorme. Les spéculations tablent sur un gain de productivité de 10 à 30 % selon les personnes interrogées. Il s’agit là d’une excellente occasion pour les fonds de capital-investissement établis et axés sur la technologie de continuer à générer de l’alpha dans les portefeuilles.
Les petits s’en sortent mieux
Les articles catastrophistes de la presse financière sur le capital-investissement ne sont ni tout à fait exacts, ni tout à fait faux. Les critères utilisés pour justifier la crainte suscitée par le capital-investissement s’appliquent principalement aux grandes sociétés de rachat d’entreprises et aux sociétés à forte capitalisation. Ce sont ces groupes qui possèdent des milliers de milliards de dollars investis et non investis et qui peinent à acheter et à vendre.
Toutefois, les gagnants probables de ces scénarios se trouvent dans les segments moyen et moyen inférieur (dans la mesure où ils peuvent collecter des fonds, bien entendu). Alors que seuls quelques grands acteurs ont pu investir en période de turbulences, l’activité transactionnelle dans le segment inférieur du marché est restée soutenue. En dollars, il s’agit d’un montant moindre, mais du point de vue d’un investisseur qui fait fructifier de l’argent, cela n’a pas beaucoup d’importance. Les fonds opérant dans ces secteurs sont en mesure de faire fructifier l’argent à des prix décents et peuvent vendre à un grand nombre de fonds à grande capitalisation bien financés. C’est une bonne position de départ.
Les stock-pickers sont en difficulté
Le cliché selon lequel les fonds de capital-investissement achètent des entreprises de premier plan, les endettent lourdement et les revendent ensuite pour un rendement décent est en péril. Il s’agit de fonds dont les équipes de création de valeur sont limitées et qui s’appuient sur la capacité des grandes entreprises à rester grandes. Le problème est que ces fonds sont habitués à 15 années d’argent bon marché, de multiples en hausse et de croissance organique. Si tous ces facteurs disparaissent ou diminuent, les « stock-pickers » en subiront les conséquences.
Les gagnants seront les fonds qui ne tablent pas sur un taux de croissance élevé et soutenu de leurs portefeuilles, mais qui sont prêts à mettre la main à la pâte et à s’impliquer activement dans leurs entreprises.
Originaire du Pays de Galles, Joel Sandhu s’est installé en Belgique il y a environ 8 ans, a habité à Anvers et vit aujourd’hui à Bruxelles où il dirige Top Tier Access, un fonds de fonds de capital-investissement. Les prévisions de Joel reposent en grande partie sur des entretiens avec des gestionnaires de capital-investissement d’Europe et d’Amérique du Nord.