Thomas Planell, Gérant – analyste DNCA Investments.
Après la Chine, l’Indonésie arrive en tête du funeste classement des séismes. Probablement l’un des principaux foyers de peuplement de la planète d’ici à 2070, l’archipel est à nouveau frappé au large de Java. Une mise à l’épreuve de plus pour le premier producteur mondial de nickel. Ses recettes commerciales sont ébranlées par l’effondrement des prix. Avec les autres métaux industriels côtés, le métal utilisé dans les batteries ou dans les aciers inoxydables, selon son degré de pureté, a cédé une partie significative des gains des dernières semaines en raison du rebond du dollar et du débouclage du positionnement financier. En fin de semaine, le repli du Yuan (qui rend plus chères les importations de matières premières vers la Chine) ajoutait aux craintes d’un décalage entre la demande physique et le positionnement sur les marchés à terme…
La Chine semble officiellement s’engager sur la voie de la dévaluation. Probablement pour donner un coup de fouet au moteur de croissance économique que sont les exportations : 3400 milliards de dollars par an, 38% du PIB chinois. L’activité à l’export est placée sous la perfusion du dumping de produits à faible valeur ajoutée : acier carbone, plastiques… Elle subit de plein fouet la guerre commerciale, devenue technologique et capitalistique. Les investissements directs étrangers sont devenus négatifs. Tandis que le pouvoir législatif américain n’hésite plus à renier ses principes et employer les moyens de son adversaire : exproprier les propriétaires chinois des actifs américains de Bytedance (Tiktok) ! « Avant que le coq ait chanté deux fois, tu m’auras renié trois fois… » semble implorer le Dieu du libre-Echange…
Lorsqu’il se tourne vers le pacifique, Xi Jinping voit les alliés de son ennemi l’encercler : Japon, Taïwan, Corée du Sud, Philippines. Assis dans la même position inconfortable d’un Kroutchev assiégé par les silos nucléaires de l’OTAN en 1962, dans quel sens de l’histoire tournera-t-il son fauteuil ?
Dans les livres de Tolkien est brandie Anduril, la « flamme de l’ouest ». Dans notre réalité, Anduril est la nouvelle figure du complexe militaro industriel américain 2.0. Fondée par le créateur de l’oculus Rift (racheté par Meta pour poser le socle physique de son metaverse), sous contrat avec le Pentagone, déjà valorisé 8 milliards de dollars, le laboratoire se situe à l’intersection de l’IA, de la robotique et de la nouvelle doctrine militaire américaine. Entre les avancées de Neuralink, l’intelligence artificielle GR00T de Nvidia appliquée à la robotique et le projet humanoïde impressionnant présenté par le duo Figure / OpenAI, difficile de ne pas être pétrifié devant la suprématie technologique américaine et l’avènement potentiel d’un nouveau projet Manhattan… Mais pour en profiter, Washington rappelle à l’Ukraine qu’elle devra cesser de cibler des raffineries de pétrole russes (600.000 barils par jour seraient déjà retirés du marché). S’agit-il de prévenir un risque d’escalade du conflit ou l’embrasement des prix à la pompe en pleine année électorale ? Chacun est libre de juger…
En attendant, l’IA reste le mot clef à cocher par tout dossier d’introduction en bourse qui se respecte. C’est ce qu’a bien compris le forum Reddit (+50% pour son premier jour de cotation) qui entend monétiser son contenu comme nutriment de base des modèles de langage de l’IA. On peut toutefois douter des qualités nutritionnelles d’une partie du contenu lorsqu’on arpente les subs, abondants en désinformation ou contenu illicite.
Rendre les réserves bancaires moins « abondantes », tout en leur permettant de rester suffisamment « amples », telle est la gestion du bilan de la FED que propose Jerome Powell, en bon adepte de la médiocrité au sens voltairien du terme : « Ni trop, ni pas assez ». Avec l’engagement de baisser les taux cette année, en dépit des deux dernières surprises des chiffres d’inflation, il n’en a pas fallu plus au marché pour applaudir des deux mains ce blanc sein de la FED à la poursuite du rallye des actions. L’or en profite également, en s’affranchissant des 2000$ l’once, tandis que les achats d’ETF redémarrent. Les marchés obligataires se montrent quant à eux plus prudents. Depuis plus de 400 séances, la courbe des taux américains est inversée. Mais pour l’instant, cet ARN messager de la recession échoue à synthétiser la protéine de la peur dans les cellules optimistes des marchés…
Les indices européens ne sont pas en reste, dépassant les attentes les plus optimistes. Le consensus n’a pas le temps de s’ajuster : les stratégistes anticipent toujours un Stoxx Europe 600 à 490 points pour la fin d’année alors qu’il se négocie déjà 3% au-dessus ! La banque Citigroup craque et révise à la hausse ses attentes : rééquilibrage des risques macro-économiques avec un léger penchant pour des surprises plutôt positives, baisse des taux de la BCE, début de rebond du PMI manufacturier global, effondrement du prix du gaz, et bien sûr… l’éternel différentiel de valorisation avec les actions américaines… Flagrant en Allemagne, avec une contre-performance historique du DAX face aux marchés américains. D’aucuns évoquent l’écart de rentabilité des capitaux investis, pénalisés par la lourdeur de la régulation bruxelloise, ou le passage à la monnaie unique, éternel bouc émissaire de quelques chefs d’entreprise allemands désabusés, ou encore, à l’échelle du continent, le déploiement gargantuesques de capitaux dirigés dans les renouvelables, dont la profitabilité médiocre a tiré vers le bas la moyenne… et donc les valorisations…
Une chose est certaine, il ne faudra pas que le ralentissement s’éternise en Europe. Le modèle social démocratique atteint ses limites : les recettes fiscales françaises ne couvrent que 60% des dépenses publiques. La France devra lever 300 milliards d’Euros cette année. Bien plus si elle entre en récession… Alors, attention à ne pas trop cogner sur le « punching ball » des marchés obligataires, il pourrait se mettre à rendre les coups !