Les marchés des obligations d’État et du crédit devraient pâtir d’une volatilité considérable, mais ils offrent des opportunités gratifiantes aux investisseurs prudents.
Mary-Therese Barton, Chief Investment Officer Fixed Income, Pictet Asset Management.
Une nouvelle ère commence pour l’investissement obligataire. Les investisseurs commencent doucement à réaliser l’ampleur du changement que nous avons vécu depuis la décennie de taux zéro consécutive à la crise financière mondiale. En d’autres termes, les investisseurs peuvent à nouveau s’attendre à ce que leur détention d’obligations et d’instruments de crédit soit récompensée. Il convient toutefois de nuancer ce constat: contrairement au marché haussier qui se perpétue de génération en génération depuis le début des années 1980, cette fois-ci, la marée montante ne soulèvera pas tous les bateaux. La situation est de fait plus compliqué qu’il n’y paraît.
Avec des rendements obligataires plus élevés que ce qu’ils ont été pendant de nombreuses années, les investisseurs n’ont plus besoin de chercher des actions de qualité pour générer du rendement, comme ils l’ont fait pendant les longues années de politique officielle de taux zéro. Les marchés obligataires et du crédit peuvent à nouveau permettre d’obtenir des revenus significatifs, ce qui, à son tour, offre un tampon contre la volatilité.
Mais le rendement n’est pas la seule source de performance de ces instruments. Il existe également une marge de manœuvre pour une appréciation considérable du capital à mesure que le cycle des taux d’intérêt commence à ralentir, même si une augmentation probable de la volatilité du marché nécessitera une approche d’investissement prudente et active. Par conséquent, les investisseurs intelligents devraient être en mesure de générer des rendements à un chiffre élevés avec les titres à revenu fixe pour les années à venir.
L’approche de l’haltère
En 2023, l’approche de l’haltère a bien fonctionné pour les investisseurs. Cela signifiait, d’une part, prendre des positions substantielles sur des instruments du marché monétaire, en tirant le meilleur parti de certains des rendements à faible risque les plus élevés disponibles depuis des décennies. D’autre part, les investisseurs ont alloué leurs budgets de risque à des instruments illiquides mais à haut rendement comme le crédit privé.
Mais maintenant que les taux officiels se stabilisent et que les taux du marché commencent à baisser alors que les économies développées se mettent également à freiner, les opportunités les plus attrayantes sont réparties sur l’ensemble du spectre de risque: dans le crédit, les obligations souveraines et, surtout, les marchés émergents, ainsi que sur les marchés monétaires et privés (Fig.1).
Fig.1 – Tout un monde de possibles
Rendement à l’échéance pour différents segments obligataires, couvert en euros, %
Source: Pictet Asset Management, Bloomberg, ICE Bank of America. Données au 06.02.2024.
Cela nécessitera toutefois un peu de dextérité. Contrairement aux cycles précédents, il ne suffira pas aux investisseurs d’acheter et de détenir. Il est en effet peu probable que le cours de la politique monétaire se déroule aussi bien que le marché semble l’anticiper.
Par exemple, le marché a été trop ambitieux quant à la rapidité et à la profondeur avec lesquelles la Réserve fédérale américaine devrait réduire ses taux cette année. L’inflation s’avère plus persistante que ce que beaucoup espéraient, en particulier dans le secteur des services. Et, dans un monde où la dette publique est très élevée, des déficits budgétaires importants maintiendront inévitablement une pression à la hausse sur les rendements.
Une trajectoire de politique monétaire caractérisée par un rythme lent des baisses de taux et par des taux finaux relativement élevés est susceptible de déclencher une volatilité importante des taux d’intérêt. La volatilité entraîne une dispersion des rendements entre les classes d’actifs et les instruments, et la dispersion crée un paysage qui favorise les investisseurs bien informés, qui sont alors capables de générer des rendements excédentaires grâce à l’application d’analyses et d’informations.
Incontournables marchés émergents
Les obligations des marchés émergents (ME) devraient notamment être une source importante, bien que très négligée, de rendements excédentaires au cours des prochaines années. Bien que les rendements de la classe d’actifs en 2023 aient été freinés par des fluctuations brutales des rendements obligataires des marchés développés ainsi que par la déception suscitée par la reprise chinoise, il y a plusieurs raisons d’être positif sur le marché pour l’année à venir.
Tout d’abord, la volatilité qui a ébranlé même les obligations souveraines les plus sûres devrait dissiper l’idée selon laquelle les marchés développés équivalent à la stabilité, tandis que les marchés émergents sont synonymes de volatilité.
Deuxièmement, la Chine est moins importante pour le marché qu’elle ne l’était autrefois. Certes, les marchés émergents dans leur ensemble avaient tendance à considérer ce pays comme un leader – la Chine représente une source notable de demande pour l’Asie du Sud-Est ainsi qu’une source non négligeable de recettes touristiques –, mais à mesure que ces économies sont devenues matures, la demande intérieure est devenue un moteur de croissance de plus en plus important. Cela a ainsi attiré les investissements directs étrangers.
Fig.2 – Marge de sécurité
Points morts pour différents segments obligataires, couvert en euros, %
Le point mort mesure à quel point les taux directeurs devraient augmenter au cours d’une année avant que les obligations ne subissent des pertes en capital. Source: Pictet Asset Management, Bloomberg, ICE Bank of America. Données au 06.02.2023.
Enfin, bien qu’il y ait des variations sur les marchés émergents, les banques centrales de ces marchés ont en grande partie été plus rapides et plus agressives face à la flambée inflationniste post-pandémie. Alors que les banques centrales des marchés développés attendent toujours un assouplissement, la politique monétaire s’est ainsi relâchée dans les économies émergentes. Associé à l’appétit croissant pour l’investissement intérieur, cela a rendu la dette locale des marchés émergents de plus en plus attrayante.
Risques passifs
Les investisseurs se sont tellement habitués à un manque de dispersion des rendements concernant les titres à revenu fixe et à un manque général de rendement pendant les années d’assouplissement quantitatif et de taux d’intérêt nuls que les produits indiciels passifs sont devenus de plus en plus attrayants. Après tout, lorsque les rendements excédentaires étaient difficiles à obtenir, il était logique de se concentrer sur la réduction des coûts.
Ce n’est maintenant plus le cas. Des rendements plus élevés et une dispersion significative du marché rendent une approche d’investissement active beaucoup plus avantageuse. Lorsque la différence entre les résultats représente la différence entre les rendements de l’ordre de 5% ou les rendements avoisinant ou même dépassant la barre des 10%, la différence de coûts entre les styles passifs et actifs devient moins pertinente.
« Il s’agit d’un nouveau monde pour les investisseurs, un monde où l’inflation est nettement plus volatile et où les taux d’intérêt sont donc plus volatils. »
Il s’agit d’un nouveau monde pour les investisseurs, un monde où l’inflation est nettement plus volatile et où les taux d’intérêt sont donc plus volatils. Et où l’on observe une plus grande dispersion de la performance des actifs à revenu fixe. Mais de la même façon, où ils pourront obtenir des rendements sur les marchés obligataires et du crédit qu’ils n’avaient pas vus depuis de nombreuses décennies, à condition que les investisseurs effectuent une analyse détaillée, une diligence raisonnable et une évaluation minutieuse des risques.