Christopher Dembik, Conseiller en stratégie d’investissement de Pictet AM.
A chaque fois que j’entends ou lis cette expression, je ne peux m’empêcher d’écarquiller les yeux : les marchés financiers sont-ils vraiment impactés par des règles aussi banales qui voudraient qu’on ait une hausse chaque année exactement à la même période ? A force de l’entendre, j’ai décidé d’approfondir un peu le sujet.
Que disent les statistiques ? Toutes les études montrent que c’est le meilleur mois de l’année en bourse. Outre-Atlantique, entre 1990 et 2021, l’indice principal Dow Jones a fini en territoire positif à vingt-cinq reprises en décembre sur trente et un ans. L’amplitude de la hausse est, en revanche, très fluctuante. A dix reprises, l’indice a connu une hausse significative comprise entre 2,5% et 10%. On retient également que si le mois de décembre est mauvais, en général, l’année boursière qui va suivre risque d’être morose. Et en France ? L’an dernier était plutôt un mauvais cru puisque l’indice principal CAC 40 a reculé de 4% en décembre. En revanche, le rallye boursier de fin d’année a bien eu lieu en 2019 et en 2021. Historiquement, l’amplitude de hausse sur le CAC 40 est moindre qu’aux États-Unis, avec une progression moyenne comprise entre 1% et 3%. Il n’y a donc pas de quoi fanfaronner.
Comment est-ce que ça se profile cette année ? Plutôt bien. Cela peut paraître surprenant alors que le risque politique et géopolitique est en hausse. Du côté de la géopolitique, la situation est tendue même si elle est circonscrite géographiquement. Du côté de la politique, les investisseurs commencent petit à petit à réaliser que l’élection présidentielle américaine est en ligne de mire en 2024 avec la possibilité que Donald Trump l’emporte et mette en place un programme économique encore plus protectionniste* que lors de son premier mandat. En fait, la hausse qui est déjà amorcée s’explique surtout par des facteurs techniques et par les anticipations de marché concernant la trajectoire de la politique monétaire.
Commençons par les facteurs techniques. En bourse, la liquidité est essentielle. C’est pourtant une notion méconnue. Stricto sensu, cela renvoie à la capacité à échanger un actif financier – à trouver pour tout actif financier un vendeur et un acheteur. Il y a également ce qu’on appelle les effets de liquidité. Ce sont des facteurs qui vont exercer une influence sur la capacité à échanger un actif et sur la formation des prix de cet actif. Plus il y a de liquidité, plus il sera facile pour un vendeur de trouver un acheteur au prix souhaité. D’une certaine manière, la liquidité est synonyme de confiance – confiance dans l’économie, confiance dans les marchés financiers. C’est ce que mettait en avant le financier américain Kevin Warsh dans les années 2000.
Deux facteurs principaux exercent un impact sur la liquidité : les émissions d’obligations, en particulier celles par les États, et les interventions directes des banques centrales. Dans le cas présent, le rallye boursier qui a démarré depuis quelques semaines et qui est plus marqué du côté américain qu’en zone euro (4% de hausse pour le CAC 40 en un mois contre 6% pour le S&P500) s’explique essentiellement par ces effets de liquidité. La bourse américaine bénéficie du fait que la Réserve Fédérale américaine (Fed) réduit moins vite son bilan que la Banque Centrale Européenne (BCE). Concrètement, elle retire moins rapidement les liquidités sur les marchés financiers que ne fait la BCE. C’est donc positif pour les actions, en principe. Ajoutons à cela que le Trésor américain émet plus de dette à court terme qu’à long terme. C’est inhabituel et ce n’est certainement pas amené à durer. Mais cela permet à la liquidité de se placer ailleurs, en particulier sur les marchés actions, plutôt que d’être bloquée sur des obligations à long terme (souvent à dix ans). Tout cela favorise la progression du marché des actions.
Les anticipations de marché concernant la politique monétaire jouent également un rôle important. Les opérateurs de marché anticipent une baisse significative des taux directeurs des banques centrales à partir du printemps 2024 – avec un petit décalage entre la Fed et la BCE. Nous sommes revenus, après un long épisode de forte volatilité, aux anticipations de début août dernier. Mais cette fois pour de bonnes raisons. Les investisseurs considèrent que le ralentissement de l’inflation va permettre aux banques centrales d’assouplir leur politique monétaire alors qu’il y a encore quelques mois de cela ils pensaient qu’elles le feraient du fait de l’entrée en récession des économies développées. Qui dit baisse des taux directeurs, dit plus de liquidité en circulation. En effet, les conditions d’accès au crédit sont moins strictes, ce qui facilite la création de crédits dans l’économie. Cela aboutit à une augmentation de la liquidité en circulation, entre autres. C’est un autre facteur qui explique la hausse actuelle des marchés boursiers.
Est-ce que cela va durer ? Nous pensons qu’une grosse partie du rallye haussier est déjà derrière nous. Certains des facteurs qui ont soutenu la hausse ces dernières semaines ne sont pas amenés à durer, en particulier le choix du Trésor américain d’aller sur les obligations à court terme. Les anticipations de baisse des taux sont, en outre, fluctuantes en fonction de l’évolution des statistiques et des discours des banquiers centraux. Mais cela ne veut pas dire, pour autant, qu’il soit trop tard pour être positionné sur les actions. D’autres facteurs vont prendre le relais, par exemple, au hasard, de bonnes surprises sur la croissance. Enfin, on rappellera à toutes fins utiles qu’être à l’écart du marché des actions est souvent un mauvais choix. Ceux qui ont uniquement privilégié les obligations en début d’année au détriment des actions s’en mordent encore les doigts. Ils ont raté le rallye de début d’année liée aux espoirs de relance résultant de la sortie de la Chine de la politique zéro Covid. Un rallye (de fin d’année) peut en cacher un autre (de début d’année).
*droit de douane universel de 10% sur toutes les importations arrivant aux Etats-Unis et élimination en l’espace de quatre ans des importations chinoises dans les domaines de l’acier, de l’électronique et de la pharmaceutique.