« Il est prématuré de tabler sur des baisses de taux »
Alors que les marchés anticipent déjà plusieurs baisses de taux pour 2024, Christopher Dembik estime qu’il faut être plus prudent et rester sur des maturités courtes, notamment sur le haut rendement. Le secteur technologique reste incontournable du côté des actions.
Christopher Dembik est arrivé en septembre chez Pictet Asset Management, en provenance de Saxo Bank où il s’est forgé une solide réputation dans l’analyse de l’environnement macroéconomique et dans la stratégie d’investissement sur les marchés financiers. Depuis le début du mois de novembre, il anime une webconférence mensuelle appelée « L’essentiel Macro » destinée aux clients du gestionnaire suisse, dans laquelle il passe en revue le positionnement des portefeuilles par rapport à l’actualité économique et financière.
Ajustement des attentes
« Nous ne nous attendons pas à une récession pour 2024, avec une économie américaine qui s’est montrée très résiliente face à la hausse des taux. Dans le même temps, les marchés semblent avoir déjà anticipé un cycle comparable aux précédents, avec des premières baisses de taux qui devraient intervenir d’ici six à neuf mois », souligne Christopher Dembik, « d’abord aux Etats-Unis, et ensuite en Europe ».
« Nous pensons toutefois que les banques centrales ne vont pas se presser pour détendre leur politique monétaire, et qu’elles pourront s’accommoder de taux plus élevés tant qu’elles n’observent pas de dérapage au niveau de l’emploi ». Pour les prochains mois, il faudra donc être particulièrement attentif au décalage entre le discours des banques centrales et les anticipations très optimistes des investisseurs. « Les marchés financiers vont être contraints d’ajuster leurs attentes durant les prochains mois ».
S’il estime que les taux plus élevés ne devraient pas causer beaucoup de problèmes pour les grandes entreprises avant 2025, il reconnaît toutefois que pour le tissu économique des petites et moyennes entreprises, l’impact de la hausse des taux est déjà nettement perceptible. « Au niveau macroéconomique, ces difficultés ne sont actuellement pas prises en compte, avec des attentes qui restent optimistes sur la croissance ».
Résilience émergente
Pour ce qui est des marchés émergents (hors Chine), Christopher Dembik souligne que les grands pays émergents (Afrique du Sud, Brésil, Inde) ont démontré une vraie résilience durant les derniers trimestres, et ne sont clairement plus aussi vulnérables qu’il y a une dizaine d’années. « Le risque est aujourd’hui limité, avec une croissance élevée qui s’accompagne de politiques monétaires qui sont déjà en train de devenir moins restrictives ».
Quant à la Chine, il estime qu’il faut éviter d’être trop extrême dans un sens ou dans l’autre, et que le pays semble être en mesure de réaliser un atterrissage en douceur de son économie. « La bulle immobilière est en train de se dégonfler sans provoquer trop de perturbations ». Contrairement à la sortie de la crise financière de 2008, il ne s’attend toutefois pas que ce pays devienne à nouveau un relai de croissance pour l’économie mondiale.
Attrait japonais
« Le Japon constitue par contre une forte conviction chez Pictet Asset Management, le pays étant en train de sortir d’une longue période de déflation avec une vraie capacité de relance, des salaires en hausse, et avec des entreprises disposant d’un niveau élevé de cash au bilan ». Il s’attend dès lors à ce que le pays affiche une croissance de 1,2% en 2024, soit l’activité économique la plus dynamique au sein des pays développés.
« Ce pays est également le meilleur moyen pour être exposé sur la Chine sans subir le risque politique, en tant que premier partenaire commercial ou en tant que première destination touristique ». Ici aussi, il pense que les marchés ont trop anticipé une normalisation rapide de la politique monétaire japonaise qui sera très lente et très graduelle, avec une première hausse symbolique du taux directeur (10 points de base) dans le courant du second semestre 2024.
Portefeuilles
Au niveau de l’allocation entre les différentes classes d’actifs, Christopher Dembik constate que le taux des obligations souverains américaines à dix ans est appelé à grimper vers 5% durant les prochains trimestres, au vu du volume attendu d’adjudications pour les bons du Trésor américain en 2024 et surtout de l’appétit moindre de plusieurs acheteurs traditionnels de dette américaine. « La Chine privilégie les achats d’or, tandis que le Japon soutient au yen. Selon nous, la baisse du taux à 10 ans va donc avoir des limites. Les autorités monétaires pourraient également être tentée d’assouplir leur politique en arrêtant la réduction de la taille du bilan, une mesure qui s’avère souvent au moins aussi efficace qu’une baisse de taux ».
Dès lors, si une exposition sur les marchés obligataires reste « incontournable » pour l’année prochaine, il faut privilégier les maturités à court terme pour investir sur la dette souveraine américaine. « Au vu des nombreuses incertitudes, nous devrions avoir beaucoup de volatilité sur les taux longs ». Il apprécie également le haut rendement dans un contexte où les économies développées devraient être en mesure d’éviter une récession profonde. « Le taux sur le haut rendement atteint actuellement 9,7% aux Etats-Unis, tandis que le monétaire rémunère plus de 5%. Sur le court terme, c’est l’allocation que nous conseillons ».
Sur les marchés boursiers, Christopher Dembik souligne qu’il reste difficile d’éviter les grosses capitalisations technologiques américaines. « Les flux continuent de se diriger vers ces valeurs, et rester à l’écart s’est traduit par une sous-performance des portefeuilles durant les dernières années ». Il constate également que dans un monde où les taux sont élevés, ces groupes sont aujourd’hui les seuls à avoir accès à des liquidités importantes, et qui peuvent donc investir massivement pour développer les innovations technologiques.