Thomas Planell, Gérant – analyste DNCA Investments.
Malheureusement, les offensives des terroristes du Hamas en Israël ont anéanti les vies d’innocentes victimes plutôt que de cibler des actifs économiques. Les marchés mondiaux de matières premières restent donc pour l’instant modérément affectés par cette tragédie avant tout humaine. En l’absence de perturbations physiques, le pétrole évolue toujours sous les derniers points hauts qu’avaient occasionné les annonces de réduction de production de la part de l’Arabie Saoudite et de la Russie. Le dollar fort, les craintes de récession (les premiers signes de destruction de la demande devenant visibles dans les transports et l’aérien) l’emportent sur le rôle de couverture géopolitique que peut revêtir le baril… Pour l’instant.
En revanche, le marché du gaz montre des signes de tensions plus visibles (+40% sur une semaine pour le benchmark européen) en raison de facteurs multiples : la fermeture de Tamar, bien sûr, au large d’Israël, source non systémique d’exportations de LNG sur les marchés mondiaux, un possible sabotage de gazoduc en Finlande et une crise sociale qui n’est pas totalement résolue en Australie. Le gaz naturel est d’ailleurs la principale source énergétique d’Israël (60 % du mix), qui, on comprend aisément pourquoi, n’a pas construit de réacteur nucléaire civil sur son sol. La volatilité des actions reste contenue (VIX à 16 %), largement sous sa moyenne cinq ans (21,7 %). Celle des taux reste élevée. Les obligations souveraines sont tantôt recherchées pour leur rôle d’actifs de protection en cas de conflit et de craintes de récession ou sont tantôt chahutées par des chiffres d’inflation supérieurs (aux Etats-Unis) qui entretiennent la thèse de taux plus élevés pour plus longtemps que prévu.
En Europe, plusieurs signes encourageants laissent penser, après les chiffres de décembre (+4,5%) que l’inflation va continuer de céder du terrain depuis son dernier pic d’octobre 2022 (plus de 10% en rythme annualisé). La hausse de l’alimentaire n’affiche plus les rythmes d’accélération affolants de 2022, celle des services se stabilise, les salaires qui bénéficieront encore de leur inertie traditionnelle devraient, à rebours, emprunter la même trajectoire. Enfin, malgré le rebond du baril des derniers jours, le niveau actuel du pétrole, bien loin des pics estivaux, pointe vers un repli de la contribution de l’énergie à l’inflation, à condition que le conflit ne devienne pas régional.
Il ne faut pas en effet confier au marché la mission de probabiliser le risque d’embrasement de ce qui semble devenir, avec l’imminence d’une incursion de Tsahal dans Gaza, un nouveau conflit majeur de haute intensité dans lequel le nombre de belligérants pourrait aller croissant. D’autant que face à l’hostilité voisine, Israël a démontré par le passé des capacités de frappes en profondeur, parfois mobilisées de façon préventive, sans concertation avec ses alliés. Ce fut le cas en 1981, lorsque les trois F16 de l’opération Opéra ont anéanti par surprise le réacteur nucléaire Osirak, construit par Saddam Hussein avec l’aide de la France. Il n’est pas impossible que de tels événements se reproduisent si les services de renseignements constatent que l’Iran ou le Liban s’engagent sur la voie coercitive. Les propos intolérables des deux pays ne sont pas, à ce titre, encourageants. Le risque n’est donc pas nul que le conflit devienne régional du jour au lendemain. C’est ce que la présence du groupe aéronaval constitué autour du tout nouveau porte-avions nucléaire américain G.R. Ford vise à mitiger, en plus d’apporter ses capacités de renseignement et de reconnaissance à une opération terrestre de Tsahal.
Plusieurs scénarios sont possibles alors, une guerre confinée, qui ne s’étendrait qu’à des champs de batailles indirects entre l’Iran et Israël (Liban, Syrie) ou une guerre totale. Dans ce dernier cas de figure, extrêmement grave et terriblement couteux en vies humaines, l’Iran activerait ses cellules complices en Syrie, Iraq, Yémen et Bahreïn pour frapper toutes formes d’actifs israéliens et occidentaux aussi loin que possible dans la région. Les 3,4 millions de barils produits chaque jour par l’Iran cesseraient de s’écouler sur les marchés mondiaux tandis que les infrastructures pétrolières et gazières de la région seraient fortement perturbées. Certaines estimations (Bloomberg Intelligence) tablent alors sur une hausse temporaire des prix de +8$ en cas de guerre confinée à 64$, en cas de guerre totale, portant le brut de qualité WTI à 150$ le baril, comprimant de 40% la croissance globale attendue pour l’année, faisant supporter à l’économie mondiale un « manque à gagner » de 1000 milliards de dollars.
Pour l’Europe, la sécurité énergétique reste donc clef. C’est dans l’ouverture de ce nouveau front de tension que l’Elysée recevait le Président de Mongolie, afin de soutenir le projet stratégique d’extraction d’uranium par Orano (2500 tonnes par an) et que l’Europe entérinait officiellement sa directive sur les renouvelables (42,5 % de la consommation d’énergie à horizon 2030, contre 21,8 % en 2021…). Un plan ambitieux au regard de la leçon de realpolitik que la Norvège vient de nous donner. Après des années de subventions, le pays s’engage dans son nouveau budget davantage sur le terrain de la rigueur : quasi doublement du seuil à partir duquel est calculé, pour certaines entreprises industrielles, la compensation publique des coûts de CO2 (un surcoût carbone imprévu estimé à 1 milliard de couronnes pour le producteur d’aluminium Norsk Hydro…) et introduction d’une taxe de 35% sur les éoliennes… En cause : le creusement du déficit public et l’environnement de taux élevés…
« Depuis toutes les années d’existence d’Israël, c’était peut-être la décision la plus difficile qu’un gouvernement ait eu à prendre » confiera un jour Ariel Sharon, au sujet de l’opération Opéra contre l’Irak, dont il était le principal instigateur. 40 ans plus tard, nul doute que le gouvernement de Benyamin Netanyahou se retrouve aujourd’hui confronté à une telle cascade de décisions tout aussi critiques que l’ancien général devenu premier ministre. Les dirigeants occidentaux devront également assumer leurs engagements, dans un monde qui semble autant fracturé qu’en 1973. A bien des égards, la crise actuelle rappelle celle du choc pétrolier qui avait alors plongé l’occident dans la stagflation. Comme à l’époque, les banquiers centraux font face aujourd’hui à l’imminence d’une crise énergétique dans un contexte de croissance faible et de politiques monétaires restrictives… Le destin du monde est donc à nouveau suspendu aux décisions de temps de crise des dirigeants politiques, militaires et financiers, sans le secours de l’intelligence artificielle…