« Une Proof of Reserves rigoureuse pourrait restaurer la crédibilité du secteur des cryptos »
La plate-forme de crypto néerlandaise Finst, active depuis début 2023 sur les marchés néerlandais et belge, a fait réaliser un audit rigoureux de ses réserves, appelé « Proof of Reserve » (PoR) ‑ une première dans les « plats pays ». Pour Julien Vallet, CEO de Finst, c’est un excellent moyen de restaurer la crédibilité du secteur des cryptos. Nous sommes allés frapper à la porte de l’homme qui a fait ses preuves chez DeGiro pour lui demander des explications supplémentaires.
Pourquoi avez-vous voulu franchir ce pas et quelle est la philosophie de cette démarche ?
Julien Vallet : Nous venons de l’industrie financière traditionnelle et démontrer ses réserves, quand vous êtes une institution financière réglementée comme une banque ou un courtier, est une obligation légale et la chose la plus normale. Pour nous qui venons de DeGiro, montrer à nos clients que nous sommes un acteur sûr est donc une étape logique. Si vous regardez le site Web de toutes les plateformes d’échange de cryptos, il est toujours indiqué qu’elles sont sûres et fiables. Mais quel est le sens de ces mots ? Nous pensons que ce n’est pas suffisant. Bien qu’il n’existe pas d’obligation légale de prouver et de publier ses réserves, il me semble opportun de le faire, après tout ce qui s’est passé récemment dans la cryptosphère, comme le scandale FTX ou la faillite de Bit4You. Le dire est une chose, prouver la sécurité en est une autre. Après tout, c’est une tierce partie, un auditeur indépendant, qui donne sa validation. Ce devrait être le strict minimum à faire par les plates-formes pour protéger leurs clients.
Les plates-formes de crypto sont-elles déjà nombreuses à avoir publié une PoR ?
Julien Vallet : Certaines plates-formes ont en effet déjà indiqué avoir réalisé une PoR. Mais si l’on regarde plus en profondeur, on voit que cette vérification démontre très peu de choses. Cette forme de PoR démontre seulement qu’une plate-forme possède un certain nombre de jetons, elle ne présente en aucun cas une vision globale aux investisseurs. Si la PoR n’examine pas le bilan des liquidités et la façon dont ces devises sont protégées, c’est déjà une grave lacune. Et une autre question importante est de savoir qui détient les portefeuilles. Je peux vous dire que nous avons 1000 bitcoins et que si ceux-ci sont sur notre bilan et que nous faisons faillite demain, les créanciers pourront saisir ces bitcoins et ils n’appartiendront plus à nos clients. La séparation des actifs doit être clairement démontrée. Nos auditeurs ont toutefois vérifié au nom de qui se trouvent les portefeuilles et les comptes bancaires. Nous voulons non seulement montrer à nos clients que leurs actifs sont en sécurité chez Finst, que nous ne prêtons pas de cryptos et que nous n’exerçons pas d’activités risquées, mais nous voulons aussi établir une nouvelle norme pour notre secteur.
Pourquoi n’est-ce pas encore une obligation dans le monde des plates-formes de crypto ?
Julien Vallet : Il existe beaucoup d’obligations dans le secteur financier traditionnel, lesquelles n’existent pas encore dans le secteur des cryptos, qui est assez jeune. La réglementation Mica (Markets in Crypto Assets Regulation) arrive en Europe. J’espère et je crois que ces obligations s’appliqueront également au secteur des cryptos. Mais si vous voulez une plate-forme crypto transparente et ouverte, vous n’avez pas besoin d’attendre que la loi s’applique. Si vous pouvez déjà apporter certaines preuves, pourquoi attendre la loi ? Nous voulons également encourager d’autres plates-formes à faire de même et à rendre le secteur dans son ensemble plus sûr. Nous n’y arriverons pas seuls. Aux Pays-Bas, où nous avons commencé il y a environ 8 mois, il existe environ 15 plates-formes, mais aucune ne joue cartes sur table en ce qui concerne ses réserves et certaines existent depuis près de 10 ans.
Julien Vallet, CEO et co-fondateur de Finst
Comment expliquer cette situation ?
Julien Vallet : L’explication est simple : soit elles ne le veulent pas, soit elles ne le peuvent pas. Si elles n’ont pas appliqué la séparation des actifs et qu’elles ont eu recours à des prêts pour acheter des cryptos, par exemple, ou qu’il existe un trou dans leur bilan parce qu’elles ont perdu un certain nombre de jetons, elles ne peuvent pas jouer cartes sur table. Dans un avenir proche, il appartiendra aux médias de demander aux plates-formes pourquoi elles n’ont pas encore publié de PoR complète. Mais si personne ne les incite à franchir ce pas, l’ensemble du processus sera beaucoup plus lent. Lorsque nous nous sommes lancés aux Pays-Bas et que nous avons proposé des coûts peu élevés, nous avons immédiatement vu différentes plates-formes réduire leurs coûts. Nous espérons avoir le même effet en ce qui concerne la transparence.
Avez-vous déjà reçu un feed-back du régulateur ?
Julien Vallet : Maintenant que nous avons publié notre communiqué de presse, nous avons l’intention d’informer rapidement les régulateurs, la Banque nationale des Pays-Bas et la FSMA en Belgique. Nous leur avions d’ailleurs déjà montré comment nous avions géré la séparation des actifs avant le lancement. Tout cela pourrait conduire à un échange intéressant et constructif, afin que nous puissions leur donner un coup de main pour mettre en œuvre la législation à venir.
Pensez-vous que cette démarche permettra de rétablir la crédibilité du secteur ?
Julien Vallet : Aujourd’hui, peu d’investisseurs remettent en question les brokers actions traditionnels. Souvenons-nous, en 2008, lorsque la grande crise financière a éclaté, c’était un peu différent. Nombreux sont ceux qui avaient juré de ne plus jamais acheter d’actions. Or, voyez comment la situation s’est normalisée les années suivantes. Il n’y a jamais eu autant d’investisseurs qu’aujourd’hui, alors qu’aucune plate-forme n’a fait faillite, et tout cela grâce à une réglementation très stricte. Je ne dis pas que l’histoire va se répéter, mais si les plates-formes de crypto prennent leurs responsabilités, nous pouvons évoluer dans le même sens. On ne peut pas s’attendre à ce que la crédibilité du secteur se rétablisse d’un coup de baguette magique au bout d’un certain temps. Nous devons agir et faire preuve de responsabilité.
Qu’ont fait exactement les auditeurs ?
Julien Vallet : Nous avons reçu deux auditeurs, dont le CEO du groupe d’audit indépendant AuditNow, Daniël Waknine, qui a lui-même participé à l’audit. Ce projet était si important à ses yeux qu’il voulait en prendre lui-même la direction. Ils sont restés chez nous pendant plusieurs semaines et ont passé en revue toutes nos attestations bancaires et toutes nos transactions. En outre, ils ont examiné chaque portefeuille pour chaque actif et ont comparé les portefeuilles à notre base de données : ce qui s’y trouvait effectivement et ce qui était supposé s’y trouver. L’ensemble de nos politiques, procédures et opérations n’ont pas échappé à leur attention. Ils ont aussi vérifié quelle responsabilité incombait à qui. Combien de personnes faut-il par exemple pour effectuer un transfert ? Ils ont vraiment examiné dans le détail le moindre flux de liquidités et de cryptos enregistré chez Finst. Les comptes bancaires sont-ils au nom de Finst ou de Stichting Finst Custody ? Comme je l’ai indiqué, il est important de savoir au nom de qui se trouve le portefeuille. Les portefeuilles sont au nom de Stichting Finst, de sorte qu’ils ne seront pas saisis si Finst devait faire faillite pour quelque raison que ce soit.
Vous trouverez l’audit sur la Proof of Reserve (PoR) de Finst en cliquant ici.
Pourquoi la séparation des réserves est-elle si importante ?
Julien Vallet : C’est la mesure de sécurité la plus importante dans le secteur des cryptos, point à la ligne. Pourquoi ? D’une part, nous avons des euros sur nos comptes bancaires et d’autre part, des jetons dans nos portefeuilles. Supposons que nous prêtions la crypto de nos clients ‑ ce qui n’est pas le cas pour des raisons évidentes ‑ et que la contrepartie fasse faillite. Dans ce cas, nous faisons nous aussi faillite. Si vous n’appliquez aucune séparation, cela signifie que vos jetons et les liquidités figurent sur votre bilan. Le curateur utilisera ces actifs pour rembourser les créanciers et vos clients auront perdu leur argent et leurs jetons. Ce n’est pas le cas en cas de séparation des réserves.
Quelle impression avez-vous laissée au CEO d’AuditNow ?
Julien Vallet : Il nous a fait savoir qu’il était impressionné, mais pas surpris, parce que, comme il l’a dit lui-même, nous venons du secteur financier, qui est strictement réglementé. Nous n’avons pas réinventé la roue : nous n’avons fait qu’appliquer au monde des cryptomonnaies les normes utilisées dans la finance traditionnelle. Pour lui, au final, il s’agissait simplement d’auditer un acteur financier et ce n’était pas une première. AuditNow était très satisfait des résultats, à défaut de quoi l’auditeur n’aurait jamais signé son rapport. Sa responsabilité est en effet en jeu.
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