Alexis Bienvenu, Fund Manager, La Financière de l’Echiquier.
L’inflation reflue partout. Ainsi est-elle revenue à 4% en mai dernier aux Etats-Unis, après avoir atteint 9% en juin 2022. En zone euro, après avoir dépassé 10% en octobre 2022, elle est retombée à 5,5% en estimation préliminaire pour le mois de juin.
Le combat est-il gagné pour autant ? Hélas non.
Car en premier lieu, si l’inflation globale connaît une trajectoire rassurante, c’est beaucoup moins vrai de l’inflation ‘’sous-jacente’’, retraitée des éléments les plus volatils. Cette dernière atteint 5,3% en mai aux Etats-Unis et 5,4% pour juin (estimation préliminaire) en zone euro. Soit des niveaux supérieurs à l’inflation globale aux Etats-Unis, ou quasiment au même niveau en zone euro. Dans les deux cas, elle ne montre qu’une faible inclinaison à la baisse – voire un léger rebond en zone euro.
La différence entre les deux types d’inflation tient en particulier au tassement des prix des matières premières après leur flambée dans le sillage de la guerre en Ukraine. Ainsi le contrat à terme sur le pétrole européen est-il passé de plus de 100 dollars le baril en mars 2022 à 80 dollars en moyenne depuis le début de l’année, et le gaz naturel européen a effacé ce qu’il avait gagné au déclenchement de la guerre.
Mais si l’inflation sous-jacente se tasse moins rapidement que l’inflation globale, ce n’est pas uniquement en raison de la rechute des prix des matières premières, qui ne bénéficient qu’à cette dernière. C’est aussi parce que l’inflation sous-jacente dispose de facteurs de soutien puissants, que Christine Lagarde, dans son récent discours prononcé à l’occasion du rassemblement des banquiers centraux à Sintra, a qualifié de préoccupants, car relativement durables.
Premier facteur : l’inflation salariale. Aux Etats-Unis, le salaire horaire moyen progresse de 4,3% en mai. Il est certes en baisse par rapport au pic de près de 6% atteint en mars 2022, mais ne montre quasiment plus de trajectoire baissière depuis plusieurs mois. En zone euro, la Banque Centrale Européenne s’attend à voir les salaires progresser de 14% d’ici fin 2025, soit près de 5% annuellement. Bonne nouvelle pour les salariés. Mais ce niveau rarement atteint est préoccupant dans la mesure où il connaît une grande inertie, notamment en Europe où les négociations salariales sont souvent annuelles, créant les conditions de possibilité d’une inflation durable.
Plus préoccupant encore : cette inflation salariale s’exerce dans un contexte de marché de l’emploi particulièrement tendu, qui progresse bien davantage que ne l’impliquerait a priori le niveau de croissance, lequel est notoirement faible – 1,3% pour les Etats-Unis et 0,6% pour la zone euro en 2023, selon le consensus Bloomberg. Cela révèle une disposition des entreprises à conserver davantage de travailleurs que le strict nécessaire, dans un contexte où la main d’œuvre disponible est rare, donc chère. L’augmentation du coût unitaire du travail qui en résulte entraîne une faible progression de la productivité. Ce qui, là encore, favorise durablement l’inflation – et nuit à la croissance.
Enfin, des facteurs d’ampleur séculaire, sur lesquels les banques centrales n’ont aucune prise, viennent augmenter non pas tant l’inflation que le risque d’inflation. Dans son discours à Sintra, le Fonds Monétaire International en mentionnait deux : la fragmentation du commerce mondial d’une part, et les risques liés au réchauffement climatique d’autre part.
Certes, d’autres secteurs de l’économie compensent en partie ces pressions haussières. Aux Etats-Unis, et peu à peu en Europe, les prix immobiliers se tassent. C’est également le cas du prix de certains biens manufacturier, comme les puces électroniques, qui avaient vu leurs prix s’envoler en raison des perturbations liées au Covid dans les chaînes de fabrication et de transport. Ces problèmes sont désormais résolus pour la plupart.
Mais dans le secteur des services hors logement, soit une très large part de l’économie, l’inflation reste une menace comme jamais depuis trois décennies. Son niveau n’est certes pas extrême : quelques pourcents au-dessus de 2%. Mais il est persistant. Passer de 10 à 5% d’inflation n’a pas été difficile pour les banques centrales : il leur a suffi de laisser retomber les excès sur certains marchés. En revanche, passer de 5 à 4%, puis à 3%, et ultimement à 2% sera de plus en plus ardu, surtout si elles veulent éviter une récession profonde.
Le plus dur dans un marathon réside rarement dans la première moitié mais dans les derniers kilomètres, qui paraissent des heures.