Skip to main content

Faut-il y lire un début de crise du marché obligataire américain ou même du dollar ? Les rendements à 10 et 30 ans de la dette américaine ont connu mi-avril leur plus forte flambée depuis la crise du Covid. Un phénomène inquiétant. Normalement en temps de crise, les investisseurs se réfugient vers les actifs les plus sûr comme l’or, le franc suisse, le yen et… la dette américaine.

« La seule scène vraiment sérieuse est la scène monétaire, pas celle des actions, celle du marché obligataire. L’administration Trump a été mise K.O. par le marché des bons du Trésor. Les détenteurs ont un pistolet braqué sur le cœur de l’Etat américain. Ce marché a bousculé l’administration Trump dans sa politique de tarif douanier…Ennuyeux quand on sait que les Etats Unis doivent se refinancer chaque jour, à présent à des taux plus élevés, » déclarait le 16 avril Alain Minc sur la chaîne LCI.

Que s’est-il passé ? Le début d’une crise de confiance sur la dette américaine ? Une manipulation ?

Très étrange, dans un mouvement inhabituel, le marché des bons d’Etat américain, « les Treasury », ont subi des ventes massives durant plusieurs jours consécutifs avant mi-avril. Le rendement des bons du Trésor à 10 ans a monté en flèche à 4,592 %, un bond de 0,6 % en un quelques jours. Alors qu’habituellement en période incertaine, c’est tout le contraire, les bons du trésor sont considérés comme valeur refuge et aurait dû bénéficier d’achats de sécurité. De plus, les craintes de récession se multiplient et ont un effet mécanique de faire baisser les rendements.

« Mouvement paradoxal alors que cet actif est considéré comme une valeur refuge dans une période tourmentée » complète Julien Boy, Gestionnaire Obligataire chez Rothschild & Co Asset Management. Mais que s’est-il passé ?  « Une bonne question, » répond Arnaud Colombel, Directeur Gestion Crédit chez Mandarine Gestion. « Des craintes de résurgence de l’inflation qui s’était matérialisées un peu avant ont pu être l’origine… mais qui a vendu ? Probablement des investisseurs étrangers qui détiennent environ 30% de la dette US. Les regards se tournent en particulier vers les investisseurs asiatiques, durement impactés par les droits de douane annoncés par Trump, » poursuit Arnaud Colombel.

Enguerrand Artaz, Stratégiste, de la Financière de l’Echiquier abonde : « En parallèle de ces ventes de bons du Trésor, on constate une baisse du dollar contre la plupart des devises, ce qui est aussi inhabituel et laisse supposer que des porteurs étrangers de dette américaine se sont délestés d’une partie de leur position, sur fond d’aversion pour les actifs américains, voire pour tenter de faire pression sur les Etats-Unis. De ce point de vue, les soupçons se portent naturellement vers la Chine, deuxième plus gros porteur étranger de dette américaine (après le Japon), engagée dans un bras de fer commercial intense avec Donald Trump. »

Christopher Dembik, Conseiller en stratégie d’investissement chez Pictet AM, est plus mitigé et décèle plus un fait de marché : « Il y a des rumeurs selon lesquelles la Chine se serait délestée de bons du Trésor américain. Mais quand on regarde les statistiques chinoises, rien ne confirme cela. Pékin n’a pas vendu plus que d’habitude d’obligations américaines. On peut estimer que ce sont à la fois les institutionnels américains et les investisseurs étrangers, tous pays confondus, qui ont réduit leur exposition à la dette américaine et au dollar. Il s’agit d’une opération de réduction du risque et non pas de mesure de rétorsion à la guerre tarifaire. »

La Chine est le deuxième plus grand créancier étranger de l’Amérique après le Japon, détenant environ 760 milliards de dollars en titres du Trésor. Certains continuent à pointer un mouvement de la Chine, qui aurait souhaité lancer un avertissement à l’administration américaine, qu’elle était capable de semer le chaos dans la dette américaine. Un autre intervenant sous anonymat explique : « Les autorités chinoises auraient vendu des Treasurys américains et converti le produit en euros ou en Bundesanleihen allemands. C’est en fait très conforme à ce qui s’est passé », a-t-il ajouté. Car les obligations de l’Allemagne ont en effet connu une baisse sensible des rendements à long terme, plus spécifiquement l’obligation à 10 ans (de 2,65 % à 2 ;48 % sur la même période).

Une balle dans le pied ?

Cependant, une vente massive et rapide entraînera la baisse de la valeur des obligations. En d’autres termes, la Chine subirait des pertes dans son stock d’obligations américaines. Et si la vente est convertie eu Yuan, la devise chinoise s’apprécierait contre dollar alors que Beijing vise exactement le contraire, sauf s’ils sont réinvestis immédiatement en euros…La vente de titres du Trésor par la Chine constituerait une véritable attaque

Scott Bessent, Secrétaire du Trésor, a été submergé d’appels angoissés du monde financier au cours du week-end qui a suivi cette folle semaine, raconte le « Wall Street Journal » et aurait convaincu Trump qu’une une pause était nécessaire dans sa politique de tarif douanier.

Le rôle du Japon, le plus gros détenteur de la dette américaine, a également été remis en question. Un député de l’opposition aurait lancé l’idée d’utiliser les bons du trésor comme outil de négociation dans les discussions commerciales bilatérales.

Mais les assureurs-vie japonais, gros détenteurs de dettes américaines, sont aussi peut-être passé vendeurs, inquiets de la politique américaine avec une volonté de réduire leur exposition. Ici, le gouvernement nippon ne peut pas faire grand-chose…

Enguerrand Artaz, Stratégieste, de la Financière de l’Echiquier ajoute une explication : « Avec la forte hausse de la volatilité des dernières semaines, des Hedge Funds peuvent être amenés, pour des raisons de contrôle de risques, à baisser le levier de leurs stratégies. Il semble qu’une importante partie de la pression vendeuse des dernières semaines sur les bons du Trésor viennent de débouclage, davantage que de ventes massives de détenteurs étatiques étrangers. »

Hedge funds et « Bond Vigilantes »

En effet à mesure que la baisse des obligations américaines s’amplifiait, les fonds spéculatifs auraient pu être contraints de dénouer des positions en obligations, un actif aussi facile à vendre, sous le coup aussi des appels d’urgence de marge qui exigent des liquidités rapidement, et ce débouclage en catastrophe aurait ajouté du carburant à la vente.

« The Bond Vigilantes have struck again », a écrit Ed Yardeni, qui a souligné que ces mouvements du marché étaient un signe que les politiques de Trump étaient erronées.

Julien Boy, Gestionnaire Obligataire chez Rothschild & Co Asset Management ajoute encore : « Les risques d’une inflation élevée et d’une augmentation en cas de récession des déficits déjà importants ont provoqué une perte de confiance dans les actifs américains. D’autre part, les investisseurs ont également anticipé une moindre demande des acheteurs étrangers de bons du Trésor américain à plus long terme, dans l’hypothèse d’un rééquilibrage du déficit commercial des États-Unis vis-à-vis de ses partenaires. Enfin, les mouvements techniques ont accentué la hausse des taux : les fonds diversifiés taux-actions et certains fonds de pension ont procédé à des réallocations en faveur des actions, tandis que les hedge funds ont dû déboucler des positions en levier élevé sur le trade de base achat Treasuries / ventes futures.

Mais derrière toutes les conjectures, il y a la perception d’une diminution de la confiance dans les politiques américaines et affaiblit considérablement l’attrait du Trésor en tant que lieu sûr tout en révèlant aussi sa vulnérabilité.

Ce que confirme Enguerrand Artaz de L’Echiquier. « On constate aussi une baisse du dollar, ce qui est aussi inhabituel. »  Signe de perte de confiance dans les actifs américains.

Secousses sismiques sur le dollar

L’euro dollar n’évolue plus dans le sens habituel dicté par le différentiel de taux entre l’Europe et les Etats-Unis. Les taux sont beaucoup plus élevés outre-Atlantique que sur le Vieux Continent, mais ne profite pas au dollar mais à l’euro. Trump serait devenu l’allié inattendu de l’euro…

Enfin dans un de ses derniers flash, Christopher Dembik souligne l’état d’un marché obligataire grippé avec des écarts acheteur-vendeur historiquement élevés, pour les obligations d’entreprises « off-the-run ». Le marché du high yield est gelé des deux côtés de l’Atlantique en manque de visibilité. En cas de récession américaine, le spécialiste de chez Pictet AM n’exclut pas une baisse du dollar contre euro pouvant atteindre 20%. Mais une récession n’est toutefois pas le scénario central chez Pictet AM.

Daniel Pechon

Author Daniel Pechon

More posts by Daniel Pechon